Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/253

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Il y a aussi comme une peur vague qui ne vous quitte pas. On fait des gestes, mais sans penser à rien. À la longue, on ne sait presque plus qui on est, on ne sait même plus bien si on existe. On finirait par en mourir, tu sais… Ou par devenir fou », ajouta-t-il en fixant devant lui un regard interrogateur. Il frémit imperceptiblement, et, changeant de ton, conta la visite d’Antoine à Crouy. Daniel l’écoutait sans l’interrompre. Mais dès qu’il vit que la confession de Jacques se terminait, sa physionomie se ranima.

— « Je ne t’ai même pas dit son nom », lança-t-il : « Nicole. Tu aimes ? »

— « Beaucoup », dit Jacques, qui, pour la première fois, réfléchissait au prénom de Lisheth.

— « Un nom qui lui va. Je trouve. Tu verras. Pas jolie, jolie, si tu veux. Mais plus que jolie : fraîche, pleine de vie, des yeux ! » Il hésita : « Appétissante, tu comprends ? »

Jacques évita son regard. Lui aussi eut souhaité parler à cœur ouvert de son amour ; c’est pour cela qu’il était venu. Mais, dès les premières confidences de Daniel, il s’était senti mal à l’aise ; et maintenant encore il