Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le séduisait en même temps, il se sentit tout à coup porté vers son ami par un retour de cette tendresse passionnée qu’il éprouvait au lycée ; il en eut les larmes aux yeux.

— « Eh bien, voyons, depuis un an ? Raconte ! » s’écria Daniel qui ne tenait pas en place, et qui s’assit pour se contraindre à l’attention.

Son attitude décelait l’affection la plus vraie ; cependant Jacques y perçut une application qui le paralysa. Il commença néanmoins à parler de son séjour au pénitencier. Il retombait, sans le vouloir précisément, dans les mêmes clichés littéraires qu’il avait essayés sur Lisbeth ; une espèce de pudeur l’empêchait de raconter nûment ce qu’avait été là-bas sa vie de chaque jour.

— « Mais pourquoi m’écrivais-tu si peu ? » Jacques éluda la véritable raison, qui était de mettre son père à l’abri de toute critique malveillante ; ce qui ne l’empêchait d’ailleurs pas, quant à lui, de désapprouver M. Thibault en tout.

— « La solitude, tu sais, ça vous change », expliqua-t-il après une pause ; et rien que d’y songer mit sur son visage une expression de stupeur. « On devient indifférent à tout.