Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venant avec répugnance de l’aspect du gros homme, elle ne lui pardonnait pas de suspecter ce à quoi elle attachait le plus haut prix : son élévation morale, son protestantisme. Et elle savait d’autant plus gré à Antoine d’avoir cassé le jugement paternel.

— « Et vous », demanda-t-elle avec une soudaine appréhension, « est-ce que vous êtes resté pratiquant ? »

Il fit signe que non, et elle en fut si heureuse que son visage s’éclaira.

— « La vérité est que j’ai pratiqué fort tard », expliqua-t-il. Il lui semblait que la présence de Mme de Fontanin le rendît plus lucide ; plus loquace, assurément. C’est qu’elle avait une façon prévenante d’écouter qui prêtait de la valeur à ses interlocuteurs et les encourageait à se hisser pour elle au-dessus de leur niveau habituel. « Je suivais la routine, sans vraie piété. Dieu était pour moi une espèce de proviseur auquel rien ne pouvait échapper, et qu’il était prudent de satisfaire à l’aide de certains gestes, d’une certaine discipline ; j’obéissais, mais je n’y trouvais guère que de l’ennui. J’étais un bon élève en tout ; en religion aussi. Comment ai-je perdu la