Aller au contenu

Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une femme l’accosta, lui glissa quelques mots d’une voix câline. Il ne répondit rien et continua à descendre le boulevard Saint-Michel. « En justicier ! » répétait-il. « Démasquer la fourberie des directeurs, la cruauté des garde-chiourme, faire un esclandre, ramener le petit ! »

Mais son élan était coupé. Son esprit suivait une double piste : en marge du grand projet, un caprice avait surgi, il traversa la Seine : il savait bien où sa distraction le menait. Et pourquoi non ? N’était-il pas trop énervé pour rentrer dormir ? Il aspira l’air, tendit le buste, sourit. « Etre fort, être un homme », pensa-t-il. Tandis qu’il s’engageait allègrement dans la ruelle obscure, un souffle généreux le souleva de nouveau : sa résolution lui apparut, en raccourci, lumineuse, déjà triomphante ; sur le point d’exécuter l’un des deux desseins qui depuis un quart d’heure se disputaient son attention, l’autre, du coup, lui semblait presque réalisé ; et ce fut en poussant d’un geste familier la porte à vitraux, qu’il précisa :

— « Demain, samedi, impossible de lâcher l’hôpital. Mais dimanche. Dimanche matin je serai au pénitencier ! »