Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/27

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discussion avait été vive. — « Il s’agit de broyer sa volonté », répétait M. Thibault, en faisant craquer ses phalanges. L’abbé hésitait. Alors M. Thibault avait exposé le régime particulier auquel serait soumis Jacques, et qui semblait, à l’entendre, bienfaisant et paternel. Puis il avait conclu, d’une voix pleine, en marquant les virgules : — « Ainsi, mis à l’abri des tentations pernicieuses, purgé de ses mauvais instincts par la solitude, ayant pris goût au travail, il atteindra sa seizième année, et je veux espérer qu’alors il pourra sans danger reprendre auprès de nous la vie familiale. » L’abbé acquiesçait : — « L’isolement produit des cures merveilleuses », insinuait-il. Antoine, ébranlé par l’argumentation de M. Thibault, par l’approbation du prêtre, avait fini par penser qu’ils avaient raison. Ce consentement, il ne le pardonnait aujourd’hui ni à lui-même, ni à son père.

Il marchait vite, sans regarder son chemin. Devant le Lion de Belfort, il fit volte-face et repartit à grands pas, allumant cigarette sur cigarette et jetant sa fumée au vent du soir. Il fallait frapper un coup droit : filer à Crouy, apparaître en justicier…