Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/99

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— « Jacques ! » s’écria-t-il, « écoute-moi, ne m’interromps pas ! Ou plutôt, réponds : si nous nous trouvions tout à coup, toi et moi, seuls au monde, est-ce que tu ne voudrais pas venir auprès de moi, vivre avec moi ? »

L’enfant ne comprit pas tout de suite.

— « Ah, Antoine », fit-il enfin, « comment veux-tu ? Il y a papa… »

Le père se dressait en travers de l’avenir. Une même idée les effleura : « Comme tout s’arrangerait, si, subitement… « Antoine eut honte de sa propre pensée, dès qu’il en eût surpris le reflet dans le regard de son frère ; il détourna les yeux.

— « Ah, bien sûr », disait Jacques, « si j’avais pu être avec toi, rien qu’avec toi, je serais devenu tout autre ! J’aurais travaillé… Je travaillerais, je deviendrais peut-être un vrai poète… »

Antoine l’arrêta d’un geste :

— « Eh bien, écoute : si je te donnais ma parole que personne d’autre que moi ne s’occupera de toi, est-ce que tu accepterais de sortir d’ici ? »

— « Ou…i… » C’était par besoin d’affection et pour ne pas contrarier son frère, qu’il acquiesçait.