Page:Martineau - Dupleix et l’Inde française, tome 4.djvu/305

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éluder et les prétextes plausibles à cet effet ne leur manqueront pas. Peut-on espérer que M. Dupleix se dépouille de son caractère de domination et d’insubordination qu’il a porté partout, qu’après avoir été le maître absolu depuis qu’il est gouverneur, il se soumette à ce qu’on jugera à propos de lui prescrire et adopte d’autres principes que ceux sur lesquels il travaille depuis qu’il est en place et dont il est enivré ?

« Il y a d’abord une haine et une animosité personnelle entre les Anglais, les Hollandais, une partie des Maures et ce gouverneur. Beaucoup d’inquiétudes de toutes parts sur ses projets ; ces haines et ces craintes, soulevant des divisions et des guerres continuelles, ne pourront se calmer tant que M. Dupleix, leur cause principale, gouvernera et l’on ne croira point que nous voulions sincèrement nous contenir dans les bornes de la modération, tant que tout sera entre les mains d’un homme qui ne respire que l’agrandissement. Enfin la Compagnie ne peut avoir la paix dans l’Inde qu’en ne se mêlant point des affaires des Maures. M. Dupleix a pris à cet égard de trop grands engagements pour pouvoir l’espérer de lui.

« L’homme qui pourrait être capable de rétablir le bon ordre et le système de paix et de commerce dans l’Inde est bien difficile à trouver ; on ne connaît dans la Compagnie que M. Godeheu, commandant à Lorient, sur qui on peut jeter les yeux, mais il est d’un autre côté très nécessaire dans le poste qu’il occupe actuellement.

« Je soumets, Monseigneur, ces réflexions à votre jugement, mais j’ai cru de mon devoir de vous les présenter. »

Huit mois seulement s’étaient passés depuis le mémoire de Saint-Priest. Comme le ton des critiques a changé ! Pour juger l’œuvre de Dupleix, ce n’est plus le scepticisme du grand seigneur bienveillant ; c’est la franchise brutale du bourgeois âpre, logique et sans pitié. Il est vrai qu’en ces huit mois la cause de la paix avait été de plus en plus compromise et que les demi-mesures envisagées par Saint-Priest n’étaient plus de saison.