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Page:Martineau - Le musicien de province, 1922.djvu/24

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recouvrait entièrement les touches, tout en laissant entre elles et la planche un espace suffisant pour le jeu des mains.

— « Qu’est cela ? » lui dis-je.

— « C’est, me répondit-il, un instrument que j’ai inventé pour empêcher les élèves de regarder leurs mains en jouant du piano. On peut l’ôter et le mettre à volonté. Je l’ai appelé le célomane, de celo : je cache et manus : main. » En disant cela, M. Grillé n’avait nulle prétention, ne se glorifiait en rien de son invention et du nom dont il l’avait pourvue. Il avait un geste, au contraire, pour s’excuser du peu que cela était et une moue pour absoudre son interlocuteur du sourire irréprimable que provoquait la révélation.

L’été, M. Grillé nous donnait des leçons, à ma sœur et à moi, dans une petite propriété voisine de Turturelle qui appartenait à nos grands-parents.

Deux fois par semaine, une voiture de famille conduisait à La Roche-Coudre notre institutrice et M. Grillé.

Les leçons, séparées par le déjeuner et une récréation, duraient de dix heures du matin à quatre heures du soir. Pendant le repas, M. Grillé disait son bonheur de savourer du pain bis.

Après chaque bouchée, il frottait l’un contre l’autre, son pouce et son index couverts de farine, touchait à peine à sa serviette dépliée