Page:Martineau - Le musicien de province, 1922.djvu/25

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négligemment sur ses genoux ; car dans ses manières se montraient la distinction simple de son esprit et sa constante réserve. Il causait d’une voix posée et ne tarissait pas d’anecdotes sur la musique, racontait des livrets d’opéra, et citait des vers de nombreux poètes.

Il avait des étonnements naïfs, ne comprenant pas comment d’aussi grands poètes que Victor Hugo et Théophile Gautier avaient pu être en même temps d’aussi piteux musiciens. M. Grillé disait, en posant sa main sur ses yeux, comme pour aider sa mémoire, le sonnet fameux de Félix Arvers qu’il comparait aux plus belles choses françaises.

À l’idée que l’inconnue d’Arvers avait véritablement existé, M. Grillé redoublait d’admiration, car il était de ces artistes qui, après avoir bu souvent à la coupe des désillusions, voudraient, à chaque émotion nouvelle, vérifier ses origines, examiner si ce qui l’a causée fait partie des réalités de ce monde.

Plusieurs années après ces événements, j’avais fait un voyage à Constantinople. M. Grillé, en apprenant mon retour, était accouru chez moi pour me poser cette question : « L’Orient, monsieur, est-il bien l’Orient ? Le ciel y est-il plus bleu qu’ici ? Les minarets sont-ils blancs et ajourés, les coupoles sont-elles dorées, la brise, selon la belle expression de Victor Hugo,