Page:Martinov - De la langue russe dans le culte catholique, 1874.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne s’agit pas des conceptions théoriques ; il faut considérer les choses pratiquement, telles qu’elles existent dans les convictions du peuple et dans la réalité. Or, nous avons déjà eu occasion de porter l’attention du lecteur sur le rôle immense que les formes extérieures jouent dans la religion du peuple russe. Toutes les sectes indigènes y trouvent leur explication et en découlent. Les rascolniks ne sont au fond que des ritualistes attachant aux anciens rites une importance exagérée et ne voyant leur salut que là. Toucher aux rites, c’est donc attenter à la religion du peuple, puisque dans la simplicité de sa foi il la fait consister en grande partie dans ce qu’elle a d’extérieur et de sensible, en contondant le rite avec le dogme. S’il a tort de comprendre ainsi la religion, il a aussi droit à la condescendance. Il a d’ailleurs en sa faveur un fait historique qui n’est que trop connu.

Comment la déplorable défection des Grecs-Unis s’est-elle accomplie en 1839 ? On a mis en avant la question du rite, en prétextant qu’on voulait le débarrasser des éléments latins qui s’y étaient introduits durant les siècles de la domination polonaise et le ramener ainsi à sa pureté primitive. Il y eut même des évêques qui se laissèrent prendre au piège et qui apportèrent la plus grande bonne foi dans leurs soins de purifier le rite des Ruthènes. On sait les résultats de cette purification. Deux millions environ de catholiques furent entraînés au schisme, séduits par le mirage trompeur du rite purifié.

N’est-ce pas la même tragédie qui se renouvelle de nos jours dans le diocèse de Khelm, dernière épave de l’Église grecque-unie dans l’empire russe ? Là aussi on commence par purifier les rites, c’est-à-dire par les rapprocher de ceux de l’Église schismatique, sans réfléchir aux nombreuses altérations qu’ils y ont subies depuis l’époque de sa complète rupture avec l’Église de Rome, sa mère légitime.

Et puis, voyez l’inconséquence ! À Khelm, une tendre sollicitude est accordée à la conservation des anciens rites, et à Vilno on déploie non moins de zèle à introduire dans la même Église catholique des rites nouveaux. Il est évident que, là comme ici, le rite ne sert que de prétexte et que le véritable but qu’on poursuit, c’est d’effacer les moindres traces de l’influence polonaise