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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE


En France, dont il a nostre langue embellie
Par les vers eleuez de sa haute Delie,
Et que Bellay, Ronsard et Baïf inuentant
Mile propres beaus mots, n’en peussent faire autant ?


Dans son chapitre intitulé : Exhortations aux Françoys décrire en leur Langue, Du Bellay, après s’être plaint de ne pouvoir citer qu’un petit nombre d’auteurs français, ajoute (I, 61) : « Toutesfoys ie te veux bien auertir, que tous les scauans hommes de France n’ont point méprisé leur vulgaire. Celuy qui fait renaître Aristophane, et faint si bien le Nez de Lucian, en porte bon témoignage. » L’auteur qu’il désigne ici d’une façon si transparente n’est autre que

L’vtiledoux Rabelais
auquel, dans sa Musagnœomachie (I, 145), il assigne un rang des plus honorables parmi les poètes de son temps, en dépit de l’animosité qu’on a supposée entre Ronsard et le grand satirique[1].

C’était justice de lui donner place parmi les précurseurs des poètes de la Pléïade, car il a travaillé à étendre notre langue, précisément par les mêmes moyens : création de mots tirés du grec, du latin, de l’italien, des dialectes français, de la marine, de la chasse, des arts et métiers, expressions forgées de toutes pièces. Mais ce qui le différencie complètement des novateurs qui lui ont succédé, c’est qu’il ne s’attarde pas à écrire des manifestes, à lancer des programmes, à conférencier. Il se contente de parler, ou plutôt de faire parler ses personnages ; et comme il en est dans son livre de tout rang, de toute profession et de tout pays, les termes nobles, familiers, populaires, grossiers, techniques, patois, sont employés, sans recherche, sans effort, à

  1. Voyez Biographie de Ronsard, I, XX.