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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

Le titre de cavalier, importé de l’Italie, excitait alors l’ambition de tous les jeunes gens, et il était devenu tellement à la mode du temps de Corneille, que notre poète qui, d’abord, avait, avec raison, préféré dans le Cid l’emploi de chevalier, y avait ensuite substitué partout cavalier. Ce mot, du reste, comme il arrive à tous ceux qu’on prodigue trop, tombe au siècle suivant dans une incroyable défaveur. Jean-Jacques Rousseau, après avoir écrit dans la Nouvelle Héloïse : « N’aperçus-je pas les cavaliers se rassembler autour de ta chaise ? » ajoute aussitôt en note : « Cavaliers, vieux mot qui ne se dit plus ; on dit hommes. J’ai cru devoir aux provinciaux cette importante remarque, afin d’être au moins une fois utile au public. » On ne le rencontre plus aujourd’hui que sur les affiches et les billets de bal.

Non seulement les jeunes cavaliers du xviie siècle employaient les termes militaires à chaque instant, mais ils s’appliquaient surtout à s’en faire honneur auprès des dames :

On s’introduit bien mieux à titre de vaillant ;
Tout le secret ne gist qu’en un peu de grimace,
À mentir à propos, jurer de bonne grâce,
Étaler force mots qu’elles n’entendent pas,
Faire sonner Lamboy, Jean de Vert et Galas,
Nommer quelques chasteaux, de qui les noms barbares,
Plus ils blessent l’oreille, et plus leur semblent rares ;
Avoir toujours en bouche angles, lignes, fossez,
Vedette, contr’escarpe et travaux avancez.

(Le Menteur, I. 6)

La Fontaine paraît s’être rappelé ce passage, lorsqu’il a dit, dans le récit des Amours de Mars et de Vénus, qui forme le neuvième fragment du Songe de Vaux :


En peu de temps Mars emporta la Dame.
Il la gagna peut-estre en luy contant sa flâme :
Peut-estre conta-t-il ses sièges, ses combats,
Parla de contr’escarpe, et cent autres merveilles