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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

à leur source étymologique, constituait un des secrets principaux des grands écrivains du xviie siècle. Un de leurs prédécesseurs avait, du reste, donné d’admirables exemples de cette manière d’écrire et en avait même ainsi exprimé la règle fondamentale :

« Le maniement et employte des beaux esprits, dit Montaigne, donne prix à la langue, non pas en l’innouant, tant comme la remplissant de plus vigoreux et diuers seruices, l’estirant et ployant[1]. »

L’oubli de ce précepte a fortement contribué à faire naître le néologisme. Quand on n’a plus su profiter des richesses que fournit notre langue, on l’a crue pauvre ; on a voulu l’enrichir. Par malheur, au lieu d’en creuser le fond plus avant et d’en étendre le domaine, on l’a surchargée sans besoin d’ornements d’emprunt, et l’amour de la nouveauté qui, bien dirigé, tendait de plus en plus du temps de Corneille à rapprocher les poètes du génie propre à notre idiome, est précisément ce qui les en éloigné aujourd’hui.

Rien ne serait si facile, comme on l’a remarqué plus d’une fois, que de suivre dans le théâtre de Corneille le progrès des mœurs publiques ou du moins des convenances extérieures. Plus chaste, dès son début, que la plupart des poètes dramatiques de son temps, il avait néanmoins écrit dans ses premières pièces, et notamment dans Clitandre, certaines scènes qu’il retrancha soigneusement plus tard comme ne répondant pas à la dignité qu’il avait su donner à la comédie, et dont il s’applaudit avec un si juste orgueil à la fin de l’Illusion comique. Plusieurs des mots dont notre auteur s’est servi dans ses premiers ouvrages, suffiraient à eux seuls pour témoigner de la licence du théâtre au moment où il les écrivait ; il parle de maîtresse engrossée, de fille forcée, sans jamais chercher à adoucir, par le choix de

  1. Essais, livre III, chapitre V, édition de 1886, tome III, p. 322.