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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

Il en résulte qu’il n’y a en français que deux mots réellement négatifs de leur nature : ne et non.

Tous ceux qui s’y trouvent ordinairement joints et auxquels on est porté à donner aussi une signification négative, ne la renferment pas en réalité en eux-mêmes.

Pas, point, dont nous nous servons tous les jours, goutte, qui s’emploie dans la locution familière ne voir goutte, mie, que La Fontaine nous a conservé dans le dicton picard qui termine Le Loup, la Mère, et l’Enfant[1] :

Biaux chires leups n’écoutez mie
Mere tenchent chen fieux qui crie.

sont de purs substantifs qui désignent un espace fort restreint, une très petite quantité de substance, et qui, à cause de cela, ont été choisis comme compléments de la négation.

Personne signifie originairement quelqu’un, tout le monde le sait ; mais ce qu’on sait moins généralement, bien que dès le xvie siècle Robert Estienne l’ait fait remarquer dans son Traicté de la Grammaire françoise[2] c’est que rien ne signifie pas nulle chose, mais tout au contraire, quelque chose. Il est dérivé de l’accusatif latin rem, chose, et l’on disait fort bien dans l’ancien français une rien pour une chose[3].

Ces notions et d’autres du même genre, dont nous ne donnons que quelques rapides échantillons, seront présentées avec des développements suffisants, et accompagnées de preuves, qui en démontreront la complète exactitude et permettront d’en profiter en toute sûreté de conscience.

  1. Liv. IV, Fable XVI.
  2. A l’Oliuier de Robert Estienne (1557), in-8o.
  3. Par toi, fet-il, ce croi-geo bien,
    Car nus estuet fère vne rien.
    (Poésies de Marie de France, publiées par B. de Roquefort. — Paris, Chasseriau, 1820, 3 vol. in-8o, t. I, p. 290.)