Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/171

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L’atome dévie de sa présupposition, se soustrait à sa nature qualitative et démontre ainsi que cet acte de se soustraire, cet être-refermé-sur-soi, privé de présupposition et de contenu, est pour l’atome lui-même, que c’est ainsi qu’apparaît sa qualité propre : de la même façon, toute la philosophie épicurienne dévie de ses présuppositions ; ainsi, par exemple, le plaisir n’est que la déviation hors de la douleur, il dévie de l’état où l’atome apparaît comme quelque chose de différencié, étant là, entaché d’un non-être et de présupposition[1].

Que cette douleur existe cependant, que ces présuppositions dont on dévie soient pour l’individu, c’est la finitude de cet individu et ce qui fait sa fortuité. À la vérité, nous découvrons déjà que cette présupposition est pour l’atome, car il ne dévierait pas de la ligne droite si elle n’était pas pour lui. Mais cela tient à la situation de la philosophie d’Epi-

  1. Nous avons vu l’importance essentielle de la compréhension conceptuelle de la déclinaison pour la lecture que Marx fait d’Epicure. Ce texte évoque la dialectique du point et de la ligne (et de la surface) produite par Hegel. Le passage de l’espace au temps est donné par Hegel comme dialectique : il résulte nécessairement de la suppression de l’espace. L’espace est l’immédiat de l’indifférence, de l’être hors de soi qui caractérise la nature. Le point est la négation de l’espace, mais ne sort pas de lui. Le temps est ainsi la vérité de l’espace. Le matérialisme d’Epicure est la crispation du moment de l’espace, ce qui explique l’éternité de l’être atomistique, laquelle est plutôt une atemporalité. C’est ce qui distingue sa philosophie de tout matérialisme dialectique : la réalité effective est histoire. C’est encore de ce point de vue que la conscience de soi abstraite a en face d’elle l’effectivité. Elle ne saurait réduire cette différence qu’en se posant elle-même comme temps.

    En tant que point, l’atome incarne le refus de la dissolution de l’espace dans le temps. Contre « chronos », il cherche dans l’espace sa solidité. Mais cette solidité est illusoire, puisque le point est une limite abstraite et inconsistante. L’Analyse se renverse donc : dans l’impossibilité de se maintenir dans l’espace, l’atome nie l’espace dans sa totalité. Il est alors l’analogue du temps, « forme immédiate du concept ». On voit en quel sens Marx peut dire de la doctrine d’Epicure qu’elle est une « philosophie du temps ». Mais le réalisme de la représentation interdit à cette conception de se libérer de la toute-puissance de l’espace et de l’atemporalité. L’atome reste conçu comme un point ayant les vertus du concept (c’est-à-dire du temps). La déclinaison ne se comprend que dans un schéma spatial, alors qu’elle représente le temps.