Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/237

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en avoir conscience. Mais ce dont il n’a pas conscience, c’est que la possibilité de cette accommodation apparente a sa racine la plus intime dans une insuffisance ou dans une compréhension insuffisante de son principe lui-même. Si donc un philosophe s’était réellement accommodé, ses disciples devraient expliquer à partir de la conscience intime et essentielle de ce philosophe ce qui revêtait pour lui-même la forme d’une conscience exotérique. De cette façon, ce qui apparaît comme un progrès de la conscience est en même temps un progrès de la science. On ne suspecte pas la conscience particulière du philosophe, mais on construit la forme essentielle de sa conscience, on l’élève à une figure et à une signification déterminées et ainsi en même temps on la dépasse.

Je considère d’ailleurs ce tournant vers la non-philosophie d’une grande partie de l’école hégélienne comme un phénomène qui accompagnera toujours le passage de la discipline à la liberté.

C’est une loi psychologique que l’esprit théorique, devenu libre en soi-même, se transforme en énergie pratique, sorte comme volonté du royaume des ombres de l’Amenthes, se tourne contre la réalité mondaine qui existe sans lui. (Mais il est important, au point de vue philosophique, de spécifier davantage les côtés de ce rapport, car à partir du mode déterminé de cette conversion, on peut faire retour sur la déterminité immanente et le caractère historique et mondial d’une philosophie. Nous voyons ici pour ainsi dire son curriculum vitae réduit à l’essentiel, porté à sa pointe subjective.) Mais la pratique de la philosophie est elle-même théorique. C’est la critique qui mesure l’existence singulière à l’essence, la réalité effective particulière à l’idée. Mais cette réalisation immédiate (Realisierung) de la philosophie est, selon son essence la plus intime, affligée de contradictions, et cette essence qui est la sienne prend forme dans le phénomène et lui imprime son sceau.

Tandis que la philosophie, en tant que volonté, se tourne contre le monde phénoménal, le système est tombé au rang d’une totalité abstraite, il est devenu un côté du monde, auquel s’oppose un autre côté. Son rapport au monde est un rapport de réflexion. Animé du désir de se réaliser, il entre en lutte avec l’Autre. L’autosatisfaction et la perfection circulaire qui lui étaient intérieurs sont brisés. Ce qui était lumière intérieure devient flamme dévorante qui se tourne vers l’extérieur. Il en résulte la conséquence que le devenir-philosophique du monde est en même temps un devenir-mondain de la philosophie, que la réalisation effective de la philosophie est en même temps sa perte, que ce qu’elle combat à l’extérieur est son propre défaut intérieur, et que c’est justement au cours de cette lutte qu’elle tombe dans les faiblesses qu’elle combattait comme faiblesse dans son contraire, ne pouvant supprimer ces faiblesses qu’en y tombant. Ce qui s’oppose à elle et ce qu’elle combat, c’est toujours ce qu’elle est elle-même, les facteurs étant seulement intervertis.

Voilà le premier côté, quand nous considérons la chose, au point de vue purement objectif, comme la réalisation immédiate (Realisierung) de la philosophie. Mais elle a aussi, ce qui n’en est qu’une autre forme, un côté subjectif. C’est le rapport du système philosophique, qui se réalise effectivement, à ses supports spirituels, aux consciences de soi singulières dans lesquelles apparaît son progrès. Il résulte du rapport qui fait que la philosophie dans sa réalisation immédiate s’oppose au monde, que ces consciences de soi singulières ont toujours une exigence à deux tranchants, l’un tourné contre le monde, l’autre contre la philosophie elle-même. En effet, ce qui apparaît dans la