Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/288

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pour les justifier. Qu’est-ce donc que ces clients que l’avocat ne peut soustraire à la condamnation qu’en les assommant lui-même ? Hegel interprète, par exemple, la conclusion du monde à Dieu sous cette forme : « C’est parce que le fortuit n’est pas que Dieu ou l’absolu est. » Mais la preuve théologique dit à l’inverse : « Parce que le fortuit a un être vrai, Dieu est. » Dieu est la garantie pour le monde fortuit. Il va de soi qu’ainsi l’inverse se trouve également affirmé.

Les preuves pour l’existence de Dieu, ou bien ne sont rien que des tautologies vides — par exemple, la preuve ontologique revient à ceci : « Ce que je me représente réellement (realiter) est pour moi une représentation réelle », cela agit sur moi, et en ce sens tous les dieux, les dieux païens aussi bien que le Dieu chrétien, ont possédé une existence réelle. L’antique Moloch n’a-t-il pas régné ? L’Apollon de Delphes n’était-il pas une puissance réelle dans la vie des Grecs ? Sur ce point, la critique de Kant ne prouve rien elle non plus. Si quelqu’un s’imagine posséder cent thalers, si cette représentation n’est pas pour lui une représentation subjective quelconque, s’il y croit, les cent thalers imaginés ont pour lui la même valeur que les cent thalers. Il contractera, par exemple, des dettes sur sa fortune imaginaire, cette fortune aura le même effet que celle qui a permis à l’humanité entière de contracter des dettes sur ses dieux. Au contraire, l’exemple de Kant aurait pu confirmer la preuve ontologique. Des thalers réels ont la même existence que des dieux imaginés. Un thaler réel a-t-il une existence ailleurs que dans la représentation, même si c’est une représentation universelle ou plutôt commune des hommes ? Apportez du papier monnaie dans un pays où l’on ne connaît cet usage du papier, et chacun rira de votre représentation subjective. Allez-vous-en avec vos dieux dans un pays où d’autres dieux ont cours, et on vous démontrera que vous souffrez d’hallucinations et d’abstractions. Et on aura raison. Celui qui aurait apporté aux anciens Grecs un dieu ouvrant une ère nouvelle aurait trouvé chez eux la preuve de la non-existence de ce dieu. Car, pour les Grecs, il n’existait pas. Ce qu’est un pays déterminé pour des dieux déterminés venus de l’étranger, le pays de la raison l’est pour Dieu en général : c’est une contrée où « son existence cesse. [« l’existence cesse » corrigé en « sa non-existence est démontrée »]

Ou bien, les preuves de l’existence de Dieu ne sont rien d’autre que des preuves de l’existence de la conscience de soi humaine essentielle, des explications logiques de cette conscience de soi. Par exemple, la preuve ontologique. Quel être est immédiatement, dès qu’il est pensé ? La conscience de soi.

En ce sens, toutes les preuves de l’existence de Dieu sont des preuves de sa non-existence, des réfutations de toutes les représentations qu’on se fait d’un dieu. Les véritables preuves devraient dire au contraire : « Parce que la nature est mal organisée, Dieu est. » « Parce qu’il y a un monde déraisonnable, Dieu est. » « Parce que la pensée n’est pas, Dieu est. » Mais qu’est-ce à dire sinon que c’est pour celui qui considère le monde comme déraisonnable, et qui est donc lui-même déraisonnable, que Dieu est ? Autrement dit, la déraison est l’existence de Dieu.

« Si vous supposez l’idée d’un dieu objectif, comment pouvez-vous parler de lois que la raison produit à partir d’elle-même, étant donné que pourtant l’autonomie ne peut échoir qu’à un être absolument libre  » [idée… dieu objectif… raison… autonomie… être libre sont soulignés par Marx.] (Schelling l. c., p. 198.)

« C’est un crime envers l’humanité que de cacher des principes qui sont universellement communicables. » (Du même auteur, l. c, p. 199.)