Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/58

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laquelle on construit ses déterminations. Sinon il n’est qu’une catégorie vide dans laquelle on mettra aussi bien Démocrite, Épicure, Gassendi, Diderot, Feuerbach, le Marx du Capital, les savants modernes, etc., et qui n’engendrera que des malentendus.

Marx affirme de la manière la plus nette le résultat de son étude sur la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure : le problème jusqu’alors non résolu de la philosophie grecque est résolu par lui ; le lecteur de la Dissertation connaît la véritable différence qui oppose Épicure à Démocrite et sait que la philosophie de ce dernier est une « science naturelle de la conscience de soi ». Mais la conscience de soi singulière se pose dans son moment essentiel en opposition au monde. Cette opposition de la philosophie et du monde est justement ce qui rapproche la situation de la philosophie épicurienne de celle des Jeunes hégéliens. En tant que philosophie de la conscience de soi abstraite-singulière, l’épicurisme apparaît donc comme une négation idéaliste du monde. Toutes les analyses des Travaux préparatoires vont dans ce sens. La philosophie d’Épicure constitue même le côté stérile de la négation du monde, la fuite hors de lui, auquel s’oppose la négation active du monde, sa transformation énergique et volontaire par la critique. On peut même dire que c’est ce refus du monde matériel concret qui fonde également le rejet de la transcendance religieuse, hypothéquant sa valeur philosophique. Cette philosophie constituerait le refus de toute nécessité réelle, de toute altérité, et son athéisme, renforçant la tendance à rejeter toute contrainte extérieure[1], serait à double tranchant, ne laissant subsister que l’affirmation nue de la conscience de soi abstraite. De ce point de vue, plus Marx établirait de différence entre le matérialiste Démocrite et Épicure,

  1. . Cet athéisme ressemblerait alors à celui du « plus hideux des hommes » fustigé par Nietzsche, qui tue Dieu car il ne peut plus supporter sa présence contraignante. Cf. Ainsi parlait Zarathoustra. Edition Hanser, tome II, p. 502.