Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/59

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plus il tirerait Épicure dans la direction de l’idéalisme subjectif, et inversement. Or, en 1841 du moins, c’est cette différence qui est expressément affirmée. Sur ce point, Marx est d’ailleurs fidèle en gros au jugement qu’avait porté Hegel dans les Leçons sur l’histoire de la philosophie : Épicure, vivant à une époque où le monde est devenu irrationnel et n’apparaît plus à la conscience que comme une nécessité monstrueuse dont les lois vont à son encontre, incarne l’individualité singulière et abstraite qui fait abstraction de ce monde, de même que son principe, l’atome, décline de la ligne droite en affirmant sa liberté, sa solidité propre. La vertu principale d’Épicure est alors la franchise et la rigueur avec lesquelles il développe toutes les conséquences de ce principe qui est le sien ; sa logique ouverte révèle ce principe, la conscience de soi prise comme esprit subjectif, qui est aussi le contenu déformé et latent de la religion. À l’égard de la philosophie grecque, Épicure est dans une position de révélateur ; il n’en change pas les déterminations essentielles, mais en accentue les conséquences avec naïveté. Ainsi, comme les philosophes grecs, sa philosophie est une doctrine de la représentation, bien qu’il ne cherche pas à sauver celle-ci et la ramène à la pure possibilité formelle, la « simple possibilité[1] ». Tel est le contenu de l’ataraxie — mot dont la composition étymologique est privative et négative — couronnant la morale de l’Ἡδονή.

Mais les rapports de la conscience épicurienne et du monde ne sont pas si simples. Dans l’Idéologie allemande

  1. . Travaux préparatoires, fragment intitulé : La supériorité de la rigueur logique d’Épicure comparée à celle des sceptiques. Ce fragment dit notamment : « Épicure l’emporte sur les sceptiques en cela que chez lui, non seulement les états et les représentations sont ramenés à rien, mais le fait d’en prendre conscience, de méditer sur eux et de raisonner sur leur existence… est quelque chose qui n’est que possible. »

    De même, le fragment précédent intitulé Hasard et possibilité chez Épicure : « Chez Épicure, le principe de la philosophie consiste à démontrer que le monde et la pensée sont pensables, possibles ; le principe d’où cela est tiré et où cela est ramené est encore la possibilité elle-même dans son être pour soi, dont l’expression naturelle est l’atome et l’expression spirituelle le hasard et l’arbitraire.

     »