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matière est la conscience de soi elle-même projetée. L’homme, en affirmant l’éternité de la matière, ne fait qu’affirmer sa propre éternité, l’éternité de son être atomistique, celle de l’humanité[1]. L’être atomistique ne s’oppose pas à l’homme, l’atome décline de la ligne droite comme l’homme dévie de la douleur. Le monde vrai est la même chose que l’homme, et l’ataraxie est dans son abstraction l’éternité de l’homme lui-même. Cette conception éclate dans la manière dont Épicure ramène, à propos des météores, les phénomènes célestes à ceux « qui se déroulent chez nous, et qui sont observés d’après leur cours réel », et le soleil réel à celui qui apparaît à l’homme[2]. De même, à propos de la « création du monde » dont Marx écrit qu’elle constitue le problème crucial qui décide du point de vue d’une philosophie, Épicure refuse tout simplement de répondre pour se jeter dans une « herméneutique » débridée[3].

C’est donc le monde lui-même qui est ambigu, et non une partie du monde. Si on lit Épicure en accentuant le caractère matérialiste de son principe atomistique, l’homme apparaît dissout dans le monde, comme chez Démocrite. Marx adopte en 1841 un point de vue exactement inverse, ou plutôt il montre la réversibilité des deux points de vue. L’atome d’Épicure apparaît d’abord comme la pure et

  1. . Cf. le fragment : l’Orgueil des élus. « Ils méprisent la vie, mais leur existence atomistique est le bien dans celle-ci, et l’éternité de leur être atomistique, qui est le bien, ils la désirent… N’est-ce pas avoir élevé la fierté de l’atome à son plus haut sommet ? N’est-ce pas, dit sèchement, l’aveu de l’arrogance et de la présomption qu’on assigne à l’éternité, et de l’éternité qu’on accorde au seul être-pour-soi. privé de tout contenu ? »
  2. . Cf. le fragment : la Philosophie épicurienne des météores.
  3. . Cf. le fragment : la Construction épicurienne du monde : « L’insuffisance de cette construction du monde sautera aux yeux de chacun… On se borne à dire que la représentation du retour d’une totalité de différences dans une unité indéterminée, c’est-à-dire la représentation « monde », existe dans la conscience. » « C’est la limite qu’il faut alors déterminer, car une complexion limitée en général n’est pas encore un monde. Or, on lit plus loin que la limite peut être déterminée de toutes les manières qu’on voudra… et, à la fin, Épicure avoue bel et bien qu’il est impossible de déterminer sa différence spécifique. »