Page:Marx - Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure.djvu/71

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La problématique de la Dissertation semble ne plus investir son objet[1]. C’est que ce texte de la Sainte Famille marque effectivement une coupure dans l’itinéraire théorique de Marx : il marque le refus définitif de l’idéalisme défini comme métaphysique. Le critère qui distingue le matérialisme de la métaphysique ne doit plus rien aux analyses hégéliennes, puisque Spinoza, considéré par l’hégélien Bauer comme le père du matérialisme, est ici rangé parmi les métaphysiciens.

La valeur polémique de ce texte est donc essentielle, mais non moins sa valeur théorique, avec la distinction

  1. . L’examen des passages consacrés aux atomistes antiques que l’on trouve dans les textes ultérieurs de Marx et d’Engels semble confirmer une modification dans l’attitude adoptée par Marx à l’égard de ces philosophies. D’une part, le matérialisme de Démocrite est revalorisé de par la position matérialiste de Marx. D’autre part, Marx est beaucoup plus sensible à l’aspect matérialiste de la philosophie d’Épicure. Épicure est même présenté dans l’Idéologie allemande comme un « ami du monde » sans que le monde dont il s’agit soit un monde projeté par la conscience abstraite, mais le monde réel-concret. Ceci est d’autant plus significatif que l’objet principal de l’Idéologie allemande est justement la lutte contre toutes les philosophies idéologiques de l’opposition au monde, représentées alors par Bauer et par Stirner. Marx commence, dans le chapitre contre Stirner, par réhabiliter Démocrite. Selon Stirner, « toute l’activité de Démocrite se réduit à l’effort qu’il fait pour se détacher du monde », « donc pour refuser ce monde ». Marx reprend contre cette affirmation les passages de la Dissertation qui montrent la vie itinérante de Démocrite, sa soif de savoir positif, le caractère scientifique de ses travaux. Tout ceci vient à l’appui de Démocrite. (Ed. sociales, p. 164.)

    Quant à Épicure, Stirner le présente comme un ennemi du monde. Nous avons vu qu’en 1841, Marx aurait été relativement d’accord avec ce point de vue. Or, il insiste dans ce texte sur l’amitié avec le monde réel qui caractérise Épicure, et surtout sur la valeur de son athéisme, ainsi que sur sa théorie politique du Contrat. Il dénonce la condamnation qu’avait portée Hegel contre les philosophies postaristotéliciennes et qu’avait reprise Stirner, mais la dénonce comme idéaliste. On mesure la différence avec l’état d’esprit des textes de 1839-1841. Marx pourra alors conseiller à Engels des citations qui prouvent la valeur prémonitoire de l’atomisme antique, à l’usage du livre de ce dernier : la Dialectique de la nature (cf. éditions sociales, p. 189-190).

    Cette évolution justifie la lecture d’Épicure qui en fait un matérialiste avant toute chose. Mais on ne saurait éviter le problème posé par une telle philosophie qui supporte d’être lue de deux manières différentes. De plus, la problématique de la Dissertation, relativement abandonnée en ce qui concerne Épicure, n’est pas détruite pour autant. Elle est revenue à son véritable objet : la définition d’une pensée nouvelle, par-delà la confrontation avec Hegel.