Page:Marx - La Lutte des classes en France - Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, 1900.djvu/207

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dévoilait la trame, et, au cours de ce travail, ne se sentait pas obligé de traiter le héros du coup d’État autrement que par le mépris qu’il avait si bien mérité. Le tableau était fait de main de maître. Toutes les révélations faites depuis ont prouvé une fois de plus avec quelle fidélité il réfléchissait la réalité. Cette compréhension éminente de l’histoire contemporaine, cette intelligence claire des événements, au moment même de leur apparition, est en réalité sans exemple. Marx en était redevable à son exacte connaissance de l’histoire de France. La France est le pays où, dans les luttes historiques des classes, on a plus que partout ailleurs livré des combats décisifs. C’est le pays où les formes politiques successives, dans les limites desquelles ces luttes se produisent, en lesquelles elles résument leurs résultats, prennent l’aspect le plus caractéristique. Centre du féodalisme au moyen âge, pays classique de la monarchie constitutionnelle unitaire à l’époque de la Renaissance, la France a ruiné le féodalisme dans sa grande révolution et a donné à l’empire de la bourgeoisie un caractère de pureté classique qu’aucun autre pays n’a atteint en Europe. De même la lutte, entreprise par le prolétariat à son éveil contre la bourgeoisie dominante, revêt une forme aiguë autre part inconnue. Telle est la raison pour laquelle Marx non seulement étudiait avec une prédilection spéciale l’histoire de l’ancienne France, mais suivait dans tous ses détails l’histoire courante de ce pays, rassemblait les matériaux destinés à être utilisés plus tard. Aussi ne fut-il jamais surpris par les événements. Une autre circonstance contribua également au résultat qu’il atteint : Marx découvrit le premier la grande loi du mouvement historique, loi suivant laquelle toutes les luttes historiques, menées sur le terrain politique, religieux, philosophique, ou sur tout autre terrain idéologique, ne sont, en fait, que l’expression plus ou moins exacte des combats que se livrent entre elles les classes sociales, loi en vertu de laquelle l’existence de ces classes, ainsi que leurs conflits, sont conditionnés par le degré du développement de leur état économique, par leur mode de production et enfin par leur mode d’échange qui dérive de ce dernier. Cette loi qui, en histoire, a autant d’importance que la loi de la transformation de l’énergie dans les sciences naturelles lui fournit la clé de l’histoire de la deuxième République française. C’est cette histoire qui lui a servi à faire l’épreuve de sa loi et, trente-trois ans après, nous devons avouer encore qu’elle est sortie brillamment de l’épreuve. »