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de février à juin 1848
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révolution du xixe siècle : l’émancipation du prolétariat. Le Moniteur s’emportait furieusement quand il se voyait obligé de répandre les « fantaisies sauvages », jusqu’alors ensevelies dans les écrits apocryphes des socialistes. Ces fantaisies ne venaient frapper l’oreille de la bourgeoisie que de loin en loin, semblables à des bruits lointains, moitié effrayants, moitié ridicules. L’Europe se réveilla brusquement, surprise dans son assoupissement bourgeois. Dans l’esprit des prolétaires, qui confondaient l’aristocratie de la finance avec la bourgeoisie ; dans l’imagination des républicains honnêtes qui doutaient de l’existence des classes ou y voyaient tout au plus une conséquence de la monarchie constitutionnelle ; à en croire les discours hypocrites de cette partie de la bourgeoisie qui avait été jusqu’alors exclue du pouvoir, la domination de la bourgeoisie avait disparu avec l’avènement de la République. Tous les royalistes se transformaient en républicains ; tous les millionnaires de Paris en travailleurs. Le mot qui traduisait cette suppression imaginaire de la bourgeoisie était la fraternité[1]. Cette abstraction sentimentale des antagonismes de classe, ce doux équilibre des intérêts contradictoires des classes, cette superbe fantaisie s’élevant au-dessus de la lutte des classes, la fraternité[2], en un mot, tel était l’axiome favori de la révolution de

  1. En français dans le texte.
  2. En français dans le texte.