Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/125

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loi elle-même contenait certains mots qui la rendaient absurde. « Par suite de cette décision la loi des dix heures fut en réalité abolie[1]. » Une foule de fabricants qui jusqu’alors n’avaient pas osé employer le système des relais pour les adolescents et les ouvrières, y allèrent désormais des deux mains à la fois[2].

Mais ce triomphe du capital en apparence définitif fut aussitôt suivi d’une réaction. Les travailleurs avaient opposé jusqu’alors une résistance passive, quoique indomptable et sans cesse renaissante. Ils se mirent maintenant à protester dans le Lancashire et le Yorkshire, par des meetings de plus en plus menaçants. « La prétendue loi des dix heures, s’écriaient‑ils, n’aurait donc été qu’une mauvaise farce, une duperie parlementaire, et n’aurait jamais existé ? » Les inspecteurs de fabrique avertirent avec instances le gouvernement que l’antagonisme des classes était monté à un degré incroyable. Des fabricants eux‑mêmes se mirent à murmurer. Ils se plaignirent de ce que « grâce aux décisions contradictoires des magistrats il régnait une véritable anarchie. Telle loi était en vigueur dans le Yorkshire, telle autre dans le Lancashire, telle autre dans une paroisse de ce dernier comté, telle autre enfin dans le voisinage immédiat. Si les fabricants des grandes villes pouvaient éluder la loi, il n’en était pas de même des autres qui ne trouvaient point le personnel nécessaire pour le système de relais et encore moins pour le ballottage des ouvriers d’une fabrique dans une autre, et ainsi de suite. » Or le premier droit du capital n’est‑il pas l’égalité dans l’exploitation de la force du travail ?

Ces diverses circonstances amenèrent un compromis entre fabricants et ouvriers, lequel fut scellé parlementairement par la loi additionnelle sur les fabriques, le 5 août 1850. La journée de travail fut élevée de 10 heures à 10 heures et demie dans les cinq premiers jours de la semaine et restreinte à 7 heures et demie le samedi pour « les adolescents et les femmes ». Le travail doit avoir lieu de 6 h. du matin à 6 h. du soir[3], avec des pauses d’une heure et demie pour les repas, lesquelles doivent être accordées en même temps, conformément aux prescriptions de 1844, etc. Le système des relais fut ainsi aboli une fois pour toutes[4]. Pour ce qui est du travail des enfants, la loi de 1844 resta en vigueur.

Une autre catégorie de fabricants s’assura cette fois comme précédemment, des privilèges seigneuriaux sur les enfants des prolétaires. Ce furent les fabricants de soie. En 1833 ils avaient hurlé comminatoirement que « si on leur ôtait la liberté d’exténuer pendant dix heures par jour des enfants de tout âge, c’était arrêter leur fabrique (if the liberty of working children of any age for 10 hours a day was taken away, it would stop their works) ; qu’il leur était impossible d’acheter un nombre suffisant d’enfants au‑dessus de treize ans », et ils avaient ainsi extorqué le privilège désiré. Des recherches ultérieures démontrèrent que ce prétexte était un pur mensonge[5], ce qui ne les empêcha pas, dix années durant, de filer de la soie chaque jour pendant dix heures avec le sang d’enfants si petits qu’on était obligé de les mettre sur de hautes chaises pendant toute la durée de leur travail. La loi de 1844 les « dépouilla » bien, à vrai dire, de la « liberté » de faire travailler plus de six heures et demie des enfants au‑dessous de onze ans, mais leur assura en retour le privilège d’employer pendant dix heures des enfants entre onze et treize ans, et de défendre à leurs victimes de fréquenter l’école obligatoire pour les enfants des autres fabriques. Cette fois le prétexte était que : « la délicatesse du tissu exigeait une légèreté de toucher qu’ils ne pouvaient acquérir qu’en entrant de bonne heure dans la fabrique[6]. » Pour la finesse des tissus de soie les enfants furent immolés en masse, comme les bêtes à cornes le sont dans le sud de la Russie pour leur peau et leur graisse. Le privilège accordé en 1844 fut enfin limité en 1850 aux ateliers de dévidage de soie ; mais ici, pour dédommager la cupidité de sa « liberté » ravie, le temps de travail des enfants de onze à treize ans fut élevé de dix heures à dix heures et demie. Sous quel nouveau prétexte ? « Parce que le travail est beaucoup plus facile dans les manufactures de soie que dans les autres et de beaucoup moins nuisible à la santé[7]. » Une enquête médicale officielle prouva ensuite que bien au contraire : « le chiffre moyen de mortalité, dans les districts où se fabrique la soie, est exceptionnellement élevé et dépasse même, pour la partie féminine de la population, celui des districts cotonniers du Lancashire[8]. » Malgré les protestations des ins-

  1. F. Engels : Die Englische Zehnstundenbill (dans la Neue Rh. Zeitung, revue politique et économique, éditée par Karl Marx, liv. d’avril 1850, p. 13). Cette même « haute » cour découvrit aussi pendant la guerre civile américaine une ambiguité de mots qui changeait complètement le sens de la loi dirigée contre l’armement des navires de pirates, et la transformait en sens contraire.
  2. Reports, etc., for 30 th. april 1850.
  3. En hiver, de 7 heures du matin à 7 heures du soir, si l’on veut.
  4. « La présente loi (de 1850) a été un compromis par lequel les ouvriers employés livraient le bénéfice de la loi des dix heures en retour d’une période uniforme, pour le commencement et la fin du travail de ceux dont le travail est restreint. » (Reports, etc., for 30 th. april 1852, p. 14.)
  5. Reports, etc., for 30 th. sept. 1844, p. 13. — 2. L. c.
  6. « The delicate texture of the fabric in which they were employed requiring a lightness of touch, only to be acquired by their early introduction to these factories. » (L. c., p. 20.)
  7. Reports, etc., for 31 oct. 1861, p.26.
  8. L. c., p. 27. En général la population ouvrière soumise à la loi des fabriques, s'est physiquement beaucoup améliorée. Néanmoins on trouve dans les rapports officiels du Dr Grennhow le tableau suivant :
    tant pour 100 des adultes occupés dans les manufactures. chiffre de mortalité pour affection des poumons sur 100 000 hom. nom du district. chiffre de mortalité pour affection des poumons sur 100 000 fem. tant pour 100 des femmes adultes occupées dans les manuf. genre d’occupation.
    14,9 598 Wigan 644 18,0 Coton
    42,6 708 Blackburn 734 34,9
    37,3 547 Halifax 564 20,4 Worsted
    (laine filée)
    41,9 611 Bradford 606 30,0
    31,0 691 Macclesfield 804 26,0 Soie
    14,9 588 Leek 705 17,2
    36,6 721 Stoke upon Trent 665 19,3 Poterie
    30,4 726 Woolstanton 727 13,9
    305 Huit districts agricoles 340