Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/167

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viations de l’aiguille aimantée dans le cercle d’action d’un courant électrique, et de la production du magnétisme dans le fer autour duquel un courant électrique circule, une fois découvertes, ne coûtent pas un liard[1]. Mais leur application à la télégraphie, etc., exige des appareils très coûteux et de dimension considérable. L’outil, comme on l’a vu, n’est point supprimé par la machine ; instrument nain dans les mains de l’homme, il croît et se multiplie en devenant l’instrument d’un mécanisme créé par l’homme. Dès lors le capital fait travailler l’ouvrier, non avec un outil à lui, mais avec une machine maniant ses propres outils.

Il est évident au premier coup d’œil que l’industrie mécanique, en s’incorporant la science et des forces naturelles augmente d’une manière merveilleuse la productivité du travail, on peut cependant demander si ce qui est gagné d’un côté n’est pas perdu de l’autre, si l’emploi de machines économise plus de travail que n’en coûtent leur construction et leur entretien. Comme tout autre élément du capital constant, la machine ne produit pas de valeur, mais transmet simplement la sienne à l’article qu’elle sert à fabriquer. C’est ainsi que sa propre valeur entre dans celle du produit. Au lieu de le rendre meilleur marché, elle l’enchérit en proportion de ce qu’elle vaut. Et il est facile de voir que ce moyen de travail caractéristique de la grande industrie est très coûteux, comparé aux moyens de travail employés par le métier et la manufacture.

Remarquons d’abord que la machine entre toujours tout entière dans le procès qui crée le produit, et par fractions seulement dans le procès qui en crée la valeur. Elle ne transfère jamais plus de valeur que son usure ne lui en fait perdre en moyenne. Il y a donc une grande différence entre la valeur de la machine et la portion de valeur qu’elle transmet périodiquement à son produit, entre la machine comme élément de valeur et la machine comme élément de production. Plus grande est la période pendant laquelle la même machine fonctionne, plus grande est cette différence. Tout cela, il est vrai, s’applique également à n’importe quel autre moyen de travail. Mais la différence entre l’usage et l’usure est bien plus importante par rapport à la machine que par rapport à l’outil. La raison en est que la machine, construite avec des matériaux plus durables, vit par cela même plus longtemps, que son emploi est réglé par des lois scientifiques précises, et qu’enfin son champ de production est incomparablement plus large que celui de l’outil.

Déduction faite des frais quotidiens de la machine et de l’outil, c’est‑à‑dire de la valeur que leur usure et leur dépense en matières auxiliaires telles que charbon, huile, etc., transmettent en moyenne au produit journalier, leur aide ne coûte rien. Mais ce service gratuit de l’une et de l’autre est proportionné à leur importance respective. Ce n’est que dans l’industrie mécanique que l’homme arrive à faire fonctionner sur une grande échelle les produits de son travail passé comme forces naturelles, c’est‑à‑dire gratuitement[2].

L’étude de la coopération et de la manufacture nous a montré que des moyens de production tels que bâtisses, etc., deviennent moins dispendieux par leur usage en commun et font ainsi diminuer le prix du produit. Or, dans l’industrie mécanique, ce n’est pas seulement la charpente d’une machine d’opération qui est usée en commun par ses nombreux outils, mais le moteur et une partie de la transmission sont usés en commun par de nombreuses machines d’opération.

Étant donné la différence entre la valeur d’une machine et la quote‑part de valeur que son usure quotidienne lui fait perdre et transférer au produit, celui‑ci sera enchéri par ce transfert en raison inverse de sa propre quantité. Dans un compte rendu publié en 1858, M. Baynes de Blackburn estime que chaque force de cheval mécanique met en mouvement 450 broches de la mule automatique ou 200 broches du throstle, ou bien encore 15 métiers pour 40 inch cloth avec l’appareil qui tend la chaîne, etc. Dans le premier cas, les frais journaliers d’un cheval‑vapeur et l’usure de la machine qu’il met en mouvement se distribuent sur le produit de 450 broches de la mule ; dans le second, sur le produit de 200 broches du throstle, et dans le troisième, sur celui de 15 métiers mécaniques, de telle sorte qu’il n’est transmis à une once de filés ou à un mètre de tissu qu’une portion de valeur imperceptible. Il en est de même pour le marteau à vapeur cité plus haut. Comme son usure de chaque jour, sa consommation de charbon, etc., se distribuent sur d’énormes masses de fer martelées, chaque quintal de fer n’absorbe qu’une portion minime de valeur ; cette portion serait évidemment considérable, si l’instrument‑cyclope ne faisait qu’enfoncer de petits clous.

Étant donné le nombre d’outils, ou quand il s’agit de force, la masse d’une machine, la grandeur de son produit dépendra de la vitesse de ses opérations, de la vitesse par exemple avec laquelle tourne la broche, ou du nombre de coups que le marteau frappe une minute. Quelques-uns de ces marteaux

  1. La science ne coûte en général absolument rien au capitaliste, ce qui ne l’empêche pas de l’exploiter. La science d’autrui est incorporée au capital tout comme le travail d’autrui. Or appropriation « capitaliste » et appropriation personnelle, soit de la science, soit de la richesse, sont choses complètement étrangères l’une à l’autre. Le Dr Ure lui-même déplore l’ignorance grossière de la mécanique qui caractérise ses chers fabricants exploiteurs de machines savantes. Quant à l’ignorance en chimie des fabricants de produits chimiques, Liebig en cite des exemples à faire dresser les cheveux.
  2. Ricardo porte parfois son attention si exclusivement sur cet effet des machines (dont il ne se rend d’ailleurs pas plus compte que de la différence générale entre le procès de travail et le procès de formation de la plus-value) qu’il oublie la portion de valeur transmise par les machines au produit, et les met sur le même pied que les forces naturelles. « Adam Smith, dit-il par exemple, ne prise jamais trop bas les services que nous rendent les machines et les forces naturelles ; mais il distingue très exactement la nature de la valeur qu’elles ajoutent aux utilités… comme elles accomplissent leur œuvre gratuitement, l’assistance qu’elles nous procurent n’ajoute rien à la valeur d’échange. » (Ric., l. c., p. 336, 337.) L’observation de Ricardo est naturellement très juste si on l’applique à J. B. Say, qui se figure que les machines rendent le « service » de créer une valeur qui forme une part du profit du capitaliste.