Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/193

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broches et 30 370 forces‑cheval, dont 28 725 pour les engins à vapeur et 1 445 pour les roues hydrauliques, n’occupaient que 88 913 ouvriers.

De 1860 à 1865, il y avait donc une augmentation de 11% en métiers à vapeur, de 3% en broches, de 5% en force de vapeur, en même temps que le nombre des ouvriers avait diminué de 5.5%[1].

De 1852 à 1862, l’industrie lainière s’accrut considérablement en Angleterre, tandis que le nombre des ouvriers qu’elle occupait resta presque stationnaire.

« Ceci fait voir dans quelle large mesure les machines nouvellement introduites avaient déplacé le travail des périodes précédentes[2]. » Dans certains cas, le surcroît des ouvriers employés n’est qu’apparent, c’est‑à‑dire qu’il provient, non pas de l’extension des fabriques déjà établies, mais de l’annexion graduelle de branches non encore soumises au régime mécanique. « Pendant la période de 1838‑58, l’augmentation des métiers à tisser mécaniques et du nombre des ouvriers occupés par eux n’était due qu’au progrès des fabriques anglaises de coton ; dans d’autres fabriques, au contraire, elle provenait de l’application récente de la vapeur aux métiers à tisser la toile, les rubans, les tapis, etc., mus auparavant par la force musculaire de l’homme[3]. » Dans ces derniers cas, l’augmentation des ouvriers de fabrique n’exprima donc qu’une diminution du nombre total des ouvriers occupés. Enfin, il n’est ici nullement fait mention que partout, sauf dans l’industrie métallurgique, le personnel de fabrique est composé, pour la plus grande partie, d’adolescents, d’enfants et de femmes.

Quelle que soit d’ailleurs la masse des travailleurs que les machines déplacent violemment ou remplacent virtuellement, en comprend cependant qu’avec l’établissement progressif de nouvelles fabriques et l’agrandissement continu des anciennes, le nombre des ouvriers de fabrique puisse finalement dans telle ou telle branche d’industrie, dépasser celui des ouvriers manufacturiers ou des artisans qu’ils ont supplantés.

Mettons qu’avec l’ancien mode de production on emploie hebdomadairement un capital de 500 l. st., dont deux cinquièmes ou 200 l. st. forment la partie constante, avancée en matières premières, instruments, etc., et trois cinquièmes ou 300 l. st., la partie variable, avancée en salaires, soit 1 l. st. par ouvrier. Dès que le système mécanique est introduit, la composition de ce capital change : sur quatre cinquièmes ou 400 l. st. de capital constant, par exemple, il ne contient plus que 100 l. st. de capital variable, convertible en force de travail. Deux tiers des ouvriers jusque‑là occupés sont donc congédiés. Si la nouvelle fabrique fait de bonnes affaires, s’étend et parvient à élever son capital de 500 à 1500 l. st., et que les autres conditions de la production restent les mêmes, elle occupera alors autant d’ouvriers qu’avant la révolution industrielle, c’est‑à‑dire 300. Le capital employé s’élève‑t‑il encore jusqu’à 2000 l. st., c’est 400 ouvriers qui se trouvent dès lors occupés, un tiers de plus qu’avec l’ancien mode d’exploitation. Le nombre des ouvriers s’est ainsi accru de 100 ; mais relativement, c’est‑à-dire proportionnellement au capital avancé, il s’est abaissé de 800, car, avec l’ancien mode de production, le capital de 2000 l. st. aurait enrôlé 1200 ouvriers au lieu de 400. Une diminution relative des ouvriers employés est donc compatible avec leur augmentation absolue, et dans le système mécanique, leur nombre ne croit jamais absolument sans diminuer relativement à la grandeur du capital employé et à la masse des marchandises produites.

Nous venons de supposer que l’accroissement du capital total n’amène pas de changement dans sa composition, parce qu’il ne modifie pas les conditions de la production. Mais on sait déjà qu’avec chaque progrès du machinisme, la partie constante du capital, avancée en machines, matières premières, etc., s’accroît, tandis que la partie variable dépensée en force de travail diminue ; et l’on sait en même temps que dans aucun autre mode de production les perfectionnements ne sont si continuels, et par conséquent, la composition du capital si sujette à changer. Ces changements sont cependant toujours plus ou moins interrompus par des points d’arrêt et par une extension purement quantitative sur la base technique donnée, et c’est ce qui fait augmenter le nombre des ouvriers occupés. C’est ainsi que, dans les fabriques de coton, de laine, de worsted, de lin et de soie du Royaume‑Uni, le nombre total des ouvriers employés n’atteignait en 1835 que le chiffre de 354 684, tandis qu’en 1861, le nombre seul des tisseurs à la mécanique (des deux sexes et de tout âge à partir de huit ans) s’élevait à 230, 654. Cet accroissement, il est vrai, était acheté en Angleterre par la suppression de huit cent mille tisserands à la main, pour ne pas parler des déplacés de l’Asie et du continent européen[4].

Tant que l’exploitation mécanique s’étend dans

  1. Reports of Insp. of Fact., 31 oct. 1865, p. 58 et suiv. En même temps, il est vrai, 110 nouvelles fabriques, comptant 11 625 métiers à tisser, 628 756 broches, 2 695 forces-cheval en engins et roues hydrauliques, étaient prêtes à se mettre en train.
  2. « Reports, etc., for 31 st. oct. 1862 », p.79. L’inspecteur de fabrique A. Redgrave dit, dans un discours prononcé en décembre 1871 dans la New Mechanics Institution, à Bradford : « Ce qui m’a frappé depuis quelque temps, ce sont les changements survenus dans les fabriques de laine. Autrefois elles étaient remplies de femmes et d’enfants ; aujourd’hui les machines semblent exécuter toute la besogne. Un fabricant, que j’interrogeais à ce sujet, m’a fourni l’éclaircissement suivant : « Avec l’ancien système j’occupais 63 personnes ; depuis j’ai installé les machines perfectionnées et j’ai pu réduire le nombre de mes bras à 33. Dernièrement enfin, par suite de changements considérables, j’ai été mis à même de le réduire de 33 à 13. »
  3. « Reports, etc., for 31 st. oct. 1856 », p. 16.
  4. « Les souffrances des tisseurs à la main (soit de coton soit de matières mêlées avec le coton) ont été l’objet d’une enquête de Ia part d’une Commission royale ; mais quoique l’on ait reconnu et plaint profondément leur misère, on a abandonné au hasard et aux vicissitudes du temps l’amélioration de leur sort. Il faut espérer qu’aujourd’hui (vingt ans plus tard !) ces souffrances sont à peu près (nearly) effacées, résultat auquel, selon toute vraisemblance, la grande extension des métiers à vapeur a beaucoup contribué. » (L. c., p. 15.)