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Page:Mary - Roger-la-Honte, 1887.djvu/23

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Roger est de haute taille. Ses épaules larges annoncent une force peu commune et Henriette regarde à la dérobée ses deux mains courtes de travailleur, aux doigts noueux ; ces mains qu’elle a vues, hier, s’abattre sur la tête de Larouette, il y a sur l’une d’elles une éraflure profonde, encore saignante, comme celle qu’aurait produite un coup de griffe ou d’ongle.

Laroque n’est pas beau, et sa taille, un peu épaisse, son cou enfoncé dans les épaules, ses membres trapus, empêchent chez lui toute distinction. Son allure est brusque. Son teint est brun. La tête est grosse et puissante. Ses yeux noirs sont doux et rayonnent d’intelligence. Il porte toute sa barbe, qui est très noire. La physionomie expressive, est très sympathique. Elle indique un homme d’action, comme l’ensemble de la personne indique un laborieux plutôt qu’un rêveur.

Ce matin, son teint gris terreux, ses yeux battus, son front ridé accusent une fatigue énorme, des soucis qu’il cache vainement. Il sourit bien à sa femme, mais d’un sourire forcé… Il lui prend les mains, l’attire, se penche pour l’embrasser, en disant :

– Comme tu as dû être inquiète, hier, ma chérie… et comme je te demande pardon… C’est ma faute… J’ai eu des affaires qui m’ont retenu très tard… des affaires très importantes et qui m’ont si bien pris mon temps que je n’ai pu télégraphier… Mais… Il s’arrête, surpris… Il a voulu mettre un baiser sur le front de sa femme et Henriette a brusquement rejeté la tête en arrière…

– Qu’as-tu donc ? dit-il.

Alors seulement il remarque son trouble, son étrange pâleur… Recevoir une caresse de cet homme, après ce qu’elle a vu cette nuit, c’était plus que n’en supporteraient ses forces… Cependant, il fallait feindre…

Rien… dit-elle… je n’ai rien… Pourquoi donc ?…

Et l’âme soulevée par l’horreur qu’elle éprouvait, elle reçut le baiser de son mari.

Un instant inquiet, celui-ci se rassura. Et gaiement :

– Hier, quand je suis entré, j’ai frappé à votre porte, Madame, mais vous n’avez pas répondu… Vous dormiez… Ah ! il y a sept ou huit ans, j’aurais été attendu… bien plus tard encore… C’est qu’il y a sept ou huit ans j’étais aimé… tandis qu’aujourd’hui, qui sait si l’on m’aime toujours ?