Page:Mary Wollstonecraft - Défense des droits des femmes (1792).djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
(175)

dans ce monde à prouver sa noble origine, en courant après une perfection inabordable ; elle poursuit sans cesse ce qu’elle reconnoît elle-même n’être qu’un songe fugitif. Une imagination de cette trempe peut donner l’existence à des formes insubstancielles, et la stabilité aux rêveries dans lesquelles l’esprit tombe naturellement quand il se blâse sur les réalités : il peut alors peindre l’amour avec des charmes célestes, et en doter l’objet idéal : il peut imaginer un dégré d’affection mutuelle qui épure l’ame, et qui, comme la dévotion, absorbe et dévore tous les autres sentimens. Le monde disparoît aux yeux de ces amans dont toutes les pensées et tous les désirs émanent de la tendresse la plus pure, de la vertu la plus constante, — une vertu constante ah ! Rousseau, respectable visionnaire ! ton paradis seroit bientôt prophané par l’intrusion de quelqu’hôte inattendu. Comme celui de Milton, il contiendroit seulement des anges ou des hommes ravalés au dessous de la dignité des créatures raisonnables. La félicité n’est point une chose matérielle, elle ne tombe pas sous les sens ;