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félix maderleau

âmelettes… Prenez le mot « vertu », par exemple, et voyez combien il est déchu. Ce n’est plus la chose forte, virile, noble des temps passés qu’on reconnaît être les temps héroïques. C’est devenu tout au plus une qualité d’archiconfrérie… Appliqué à un homme, le mot emprunte aujourd’hui un sens ridicule, ironique.

— Mais, mon cher, interrompt quelqu’un, tu ne voudrais toujours pas que la langue française restât stationnaire au milieu de l’évolution générale, toi un fervent du transformisme. Ainsi, il paraît que la morale elle-même est relative ! N’avons-nous pas la morale patristique, la morale médiévale et la morale moderne. Ton mot « vertu »…

— Je n’en veux pas particulièrement au mot « vertu » ; j’aurais pu me servir tout aussi bien du mot « honnêteté » ou d’un autre. Je demande simplement qu’on désigne les choses par leurs noms… Pensez-vous, par exemple, qu’on doive appeler vertueux (au sens usuel du mot) l’homme qui, à raison de son tempérament particulier, ne se sent pas porté à la bagatelle ?… À ce compte, l’eunuque serait continent… Il y a des gens qui ont laissé un grand renom d’honnêteté non pas par principe, c’est-à-dire par détermination de leur conscience, mais parce qu’ils n’ont jamais été induits en tentation… L’enfant qui, succombant à l’appât de l’étalage, dérobe un bonbon dans une confiserie, l’ivrogne qu’un copain entraîne à la taverne,