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félix maderleau

ou un animal dans un milieu autre que celui que la nature lui a désigné. Aussi, nous ne serons jamais autre chose que des Français sauvageons, des latins métissés de nordiques. Greffon qu’on a détaché de la plante-mère pour l’enter sur un tronc à sève congelée, notre race restera une tige mal venue et rachitique, un chétif rejet battu par le blizzard et à qui il a manqué du mistral et du soleil. Il s’étiole, il monte en orgueil, victime d’une sève trop peu substantifique, où prédomine le nitrate, où manque le phosphore… En d’autres termes et malgré qu’en ait notre amour-propre, notre génie ethnique s’est abâtardi, notre flamme latine n’a pu dégeler l’iceberg du nord ; c’est lui qui a éteint notre feu, refroidi notre sang, fraîchi notre enthousiasme, figé notre idéalisme…

Soit qu’on craignît de croiser le fer avec ce pharamineux rhéteur, soit qu’on préférât le laisser dévider sa bobine, personne ne s’avisa de l’interrompre. Aussi bien, il était lancé à fond de train, amusant le tapis de sa philosopherie agrémentée de pétarade et de phébus où il finirait bien par s’encharbotter en marchant sur sa longe.

C’est ce qui arrivait la plupart du temps lorsque quelqu’un ne lui fournissait pas, par une objection ou même une plaisanterie, la chance de se dépêtrer d’un maquis pour se remettre à éplucher d’autres écrevisses.

Généralement, un chaland survenait à point pour lui permettre de se sauver prudemment à