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les mémoires de nuxette
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cette matinée ensoleillée de juillet 189… qui me revient à la mémoire après plus d’années que j’en veux avouer.

C’était jour de congé et, en compagnie de deux camarades, j’étais allé à la chasse dans le grand bois appartenant à Mr Woods et qui, par la suite, est devenu le Parc Victoria, à Granby. Nos armes, d’ordinaire, étaient des espèces d’arbalètes de notre confection dont la portée et la justesse de tir épargnaient le gibier avec une magnanimité qui jamais ne se démentait. Ce jour-là pourtant, le copain Maurice créa toute une sensation dans notre « party » en exhibant à nos yeux ravis une carabine, calibre 22, dérobée à la panoplie de son père.

À dix ans, on a l’enthousiasme plutôt facile et volontiers bruyant. Je vous laisse à penser si la perspective de se servir d’un vrai fusil était de nature à nous déplaire. Maurice grandit de vingt coudées dans notre estime et nous eûmes la générosité, Henri et moi, de lui céder, séance tenante, les queues de tous les écureuils que nous tuerions ce jour-là.

Est-ce là ce que les tabellions appellent une « donation à cause de mort » ?

Touché d’un procédé aussi délicat, Maurice, pour ne pas demeurer en reste, me passa la carabine : « Tiens, tu tireras le premier », me dit-il avec la courtoisie d’un marquis d’Auteroche. J’acceptai avec tout le culot d’un lord Hay.

Règle générale, la chasse consistait à courir les bois, à nous régaler de baies et de noix ou à cueillir de quelques simples dont nos parents nous avaient appris les propriétés curatives. Pour ce qui est du gibier, nous faisions invariablement buisson creux et pour cause.

Mais qu’importe le gibier si l’on éprouve l’intoxicante émotion de la chasse ! Foin des abondantes venaisons pourvu qu’on goûte à ce vivifiant tonique, attrait capital du sport, qui pimente ce que Loti appelle « le fade ragoût de la vie », qui fouette le cœur et fait fluer plus vite et comme bondir d’aise,