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ÉPILOGUE


1904 !

Deux siècles ont passé ! L’agreste Ktiné est devenu la cité superbe, Sherbrooke, reine des Bois-Francs. Le majestueux Alsiganteka s’appelle la Saint-François.

Ô prodige ! le grain de sénevé est devenu un arbre géant. L’amour a fécondé le rocher aride, telle d’Horeb autrefois jaillit la source claire. Debout sur Mena’sen se dresse un pin altier dont les rameaux, bras tendus vers les rives, esquissent un geste bienveillant.

Il y a, dans cette attitude de pax vobiscum, un cachet de grandeur d’une poésie sublime, d’un symbolisme éloquent. Fantaisie de la nature ! dit le badaud. Blasphème ! Rien n’est fantaisie dans la nature ; aveugle qui nie la lumière, sourd qui méconnaît la musique. Le hasard est un prétexte commode proposé par le vulgaire. La nature, voilà le livre de science, l’évangile de vie. Lisent qui ont des yeux pour lire !

Le pin funéraire a ramifié ses racines jusques au cœur de celle dont le rocher fut le tombeau pour y puiser le suc bienfaisant qui anime et vivifie. L’amour défie le temps et survit à la mort !

Mena’sen a perdu son aspect farouche ; le sacrifice l’a exorcisé. Le mystère qui l’entoure n’est plus d’effroi mais d’apaisement.


En cette soirée de mars 1904, à deux cents ans de distance, je regarde, de ma fenêtre, le rocher au pin solitaire. Les giboulées ont couronné la tête de l’arbre et drapé ses branches de tulle floue. L’heure est au recueillement. L’imagination, docile au sentiment de l’âme, ébauche une maquette sur ce piédestal de Mena’sen.