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MES SOUVENIRS

l’auteur de Sigurd et de Salammbô, mon confrère de l’Académie des Beaux-Arts ! Ce fut là que nous perdîmes, lui et moi, notre collaborateur et ami, Ernest Blau. Il mourut dans cet hôtel et, malgré l’usage qui veut qu’un drap mortuaire ne soit jamais étalé devant un hôtel, Mlle Wanters, la propriétaire, tint à ce que ses obsèques fussent rendues publiques et non cachées aux habitants de l’établissement. Ce fut, dans le salon même, où avait été placé le cercueil, au milieu des étrangers, que nous prononçâmes de tendres paroles d’adieu à celui qui avait été le collaborateur de Sigurd et d’Esclarmonde.

Un détail vraiment macabre. Notre pauvre ami Blau avait dîné, la veille de sa m.ort, chez le directeur Stoumon. Étant en avance, il s’était mis à regarder, dans la rue des Sablons, des bières très luxueuses exposées chez un marchand de cercueils. Comme nous venions de dire le suprême adieu et qu’on avait placé la dépouille mortelle de Blau dans un caveau provisoire à côté du cercueil tout fleuri de roses blanches d’une jeune fille, un des porteurs trouva que le défunt, s’il eût pu être consulté, n’aurait pu préférer meilleur voisinage, tandis que le commissaire des pompes funèbres faisait cette réflexion : « Nous avons bien fait les choses. M. Blau avait remarqué une bière superbe, et nous la lui avons laissée à très bon compte !… »

En sortant de ce vaste cimetière, encore bien désert à cette époque, l’émotion poignante de la grande artiste, Mme Jeanne Raunay, frappa tous les assistants. Elle marchait lentement aux côtés du grand maître Gevaert.