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Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/165

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MES SOUVENIRS
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vit sur le pupitre le troisième acte d’Hérodiade, comme j’étais retourné dans la salle auprès de nos camarades, la vue de Delibes fut un spectacle unique. Le pauvre cher grand ami s’essuyait le front, tournait, soufflait, suppliait les musiciens hongrois, qui ne le comprenaient pas, de lui donner sa vraie partition, mais rien n’y fit ! Il dut conduire de mémoire. Cela sembla l’exaspérer, et, pourtant, l’adorable musicien qu’était Delibes était bien au-dessus de cette petite difficulté !

Après le gala, nous assistâmes tous au banquet monstre, où naturellement, les toasts étaient de rigueur. J’en portai un au sublime musicien Franz Liszt, auquel la Hongrie s’honore d’avoir donné le jour.

Quand vint le tour de Delibes, je lui proposai de collaborer à son speech, avec la même interversion qu’on avait faite au théâtre, dans nos partitions. Je parlai pour lui, il parla pour moi. Ce fut une succession de phrases incohérentes accueillies par les applaudissements frénétiques de nos compatriotes et par les« Elyen » enthousiastes des Hongrois.

J’ajoute que Delibes comme moi, comme bien d’autres, nous étions dans un état d’ivresse délicieuse, car les vignes merveilleuses de la Hongrie sont bien des vignes du Seigneur lui-même ! Il faudrait être « tokay », pardon, toqué, pour n’en pas savourer, avec le charme pénétrant, le très voluptueux et capiteux parfum !

Quatre heures du matin ! nous étions, selon notre protocole, en habit noir (nous ne l’avions du reste pas quitté ; et prêts à partir porter des couronnes sur la