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MES SOUVENIRS
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la répétition générale du Cid, j’allai passer ma soirée avec mes artistes de Manon. Inutile de dire que, dans les coulisses de l’Opéra-Comique, il n’était question que de la première du Cid qui, à la même heure, battait son plein.

Malgré mon calme apparent, j’étais dans mon for intérieur très soucieux ; aussi allai-je, à peine le rideau baissé sur le cinquième acte de Manon, vers l’Opéra, au lieu de rentrer chez moi. Une force invincible me poussait de ce côté.

Tandis que je longeais la façade du théâtre d’où s’écoulait une foule élégante et nombreuse, j’entendis, dans un colloque entre un journaliste connu et un courriériste qui s’informait, en hâte, auprès de lui, des résultats de la soirée, ces mots : C’est crevant, mon cher !… Très troublé, on le serait à moins, je courais, pour la suite des informations, chez les directeurs, quand je rencontrai, à la porte des artistes, Mme Krauss. Elle m’embrassa avec transport, en prononçant ces paroles : C’est un triomphe !

Je préférais, dois-je le dire ? l’opinion de cette admirable artiste. Elle me réconforta complètement.

Je quittai Paris (quel voyageur je faisais alors !) pour Lyon, où l’on donnait Hérodiade et Manon.

Trois jours après mon arrivée, et comme je dînais au restaurant avec deux grands amis, Joséphin Soulary, le délicat poète des Deux Cortèges, et Paul Mariéton, le vibrant félibre provençal, on m’apporta un télégramme d’Hartmann, ainsi conçu :

« Cinquième du Cid remise à un mois, peut-être. Location énorme rendue. Artistes souffrants. »

Nerveux comme je l’étais, je me laissai aller à un