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Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/174

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MES SOUVENIRS

Ce fut ensuite le Cid qui remplit ma vie. Enfin, dès l’automne de 1885, n’attendant même pas le résultat de cet opéra, nous tombâmes d’accord, Hartmann et mon grand et superbe collaborateur d’Hérodiade, Paul Milliet, pour nous mettre décidément à Werther.

Afin de m’inciter plus ardemment au travail (en avais-je bien besoin ?), mon éditeur, qui avait improvisé un scénario, retint pour moi, aux Réservoirs, à Versailles, un vaste rez-de-chaussée, donnant de plain-pied sur les jardins de notre grand Le Nôtre. La pièce où j’allai m’installer était de plafond élevé, aux lambris du dix-huitième siècle, et garnie de meubles du temps. La table sur laquelle j’allais écrire était elle-même du plus pur Louis XV. Tout avait été choisi par Hartmann chez le plus renommé antiquaire.

Hartmann était doué de qualités toutes particulières pour tirer habilement parti des événements ; il parlait fort bien l’allemand ; il comprenait Gœthe, il aimait l’âme germanique ; il tenait donc à ce que je m’occupe enfin de cet ouvrage.

Comme on me proposait un jour d’écrire une œuvre lyrique sur la Vie de Bohème, de Murger, il prit sur lui, sans me consulter en aucune manière, de refuser ce travail.

La chose, cependant, m’aurait bien tenté. Il m’eût plu de suivre, dans son œuvre et dans sa vie, Henry Murger, cet artiste en son genre, celui que Théophile Gautier a si justement appelé un poète, bien qu’il eût excellé comme prosateur. Je sens que je l’aurais suivi dans ce monde spécial que lui-même a défini,