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MES SOUVENIRS

— le temps me manquant, d’accord en cela avec mon peu de penchant pour ce genre de distractions — l’on était, cependant, si gracieusement revenu à la charge, que je ne persistai pas dans mon refus. Il m’avait semblé que mon cœur affligé devait y rencontrer un dérivatif à mes désespérances ! Sait-on jamais ?…

J’avais été placé, à table, à côté d’une dame, compositeur de musique d’un grand talent. De l’autre côté de ma voisine avait pris place un diplomate français d’une amabilité complimenteuse qui dépassait, me sembla-t-il, les limites. « Est modus in rebus, — en toutes choses il y a des bornes » ; et notre diplomate aurait peut-être pu, avec ce très ancien adage, se souvenir du conseil qu’un maître en la matière, l’illustre Talleyrand, a donné depuis : « Pas de zèle, surtout !… »

Je ne songerai pas à raconter, par… le menu, les conversations qui s’échangèrent dans ce milieu charmant, non plus que je ne pense à redire quel fut le menu, lui-même, de ce repas. Ce dont je me souviens, c’est qu’en fait de salade, il y en eut surtout une, composée d’une bigarrure de langues absolument déconcertante, où entraient l’américain, l’anglais, l’allemand, le français.

Mais pourquoi aussi, en France, ne savoir que le français, et encore ?

Mes voisins français m’occupaient donc seuls. Cela me permit de retenir ce délicieux colloque entre la dame compositeur et le monsieur diplomate :

Le monsieur. — Vous êtes toujours alors l’enfant des Muses, nouvelle Orphéa ?