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MES SOUVENIRS

alors ils ne se doutaient pas de la magnifique situation qu’ils devaient se créer un jour au théâtre.

À Milan, je fus aussi invité à sa table par mon ancien ami et éditeur Giulio Ricordi. J’éprouvai une émotion si sincère à me retrouver au sein de cette famille Ricordi à laquelle me rattachent tant de charmants souvenirs ! Inutile d’ajouter que nous bûmes à la santé de l’illustre Puccini.

J’ai gardé de mes séjours à Milan la souvenance d’y avoir assisté aux débuts de Caruso. Ce ténor, devenu fameux, était bien modeste alors ; et. quand je le revis un an après, enveloppé d’une ample fourrure, il était évident que le chiffre de ses appointements avait dû monter crescendo ! Certes, je ne lui enviais pas, en le voyant ainsi, ni sa brillante fortune, ni son incontestable talent, mais je regrettais de ne pouvoir, surtout cet hiver-là, endosser sa riche et chaude houppelande !… Il neigeait, en effet, à Milan, à gros et interminables flocons. L’hiver était rigoureux ; il me souvient même que je n’eus pas trop du pain de mon déjeuner pour satisfaire l’appétit d’une trentaine de pigeons qui, tout grelottants, tremblants de froid, étaient venus chercher un abri sur mon balcon. Pauvres chères petites bêtes, pour lesquelles je regrettais de ne pouvoir faire davantage ! Et, involontairement, je pensais à leurs soeurs de la place Saint-Marc, si jolies, si familières, qui devaient être aussi frileuses qu’elles, en cet instant.

J’ai à m’accuser d’une grosse et bien innocente plaisanterie que je fis à un dîner chez l’éditeur Sonzogno. Nul n’ignorait les rapports tendus qui régnaient entre lui et Ricordi. Je me glissai donc, ce