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Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/215

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MES SOUVENIRS
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de la même époque. Je m’y sentais à l’aise pour disposer les feuilles de mes partitions d’orchestre.

C’est à Pont-de-l’Arche, qu’un matin, j’appris la mort de Mme Carvalho. Sa disparition devait plonger l’art du chant et du théâtre dans un deuil profond, car elle l’avait incarné, durant de longues années, avec le plus magistral talent. Ce fut là, aussi, que je reçus la visite de mon directeur, Léon Carvalho, que cette mort avait crullement atteint. Il était accablé par cette perte irréparable, venant comme obscurcir l’éclat que la grande artiste avait contribué si glorieusement à donner à son nom.

Carvalho était venu me demander d’achever la musique de la Vivandière, cet ouvrage auquel travaillait Benjamin Godard, mais que son état de santé faisait craindre qu’il ne pût terminer.

J’opposai à la demande un refus très net. Je connaissais Benjamin Godard, je savais sa force d’âme ainsi que la richesse et la vivacité de son inspiration ; je demandai donc à Carvalho de taire sa visite et de laisser Benjamin Godard achever son œuvre.

Cette journée se termina sur un incident assez drolatique. J’avais fait quérir, dans le pays, une grande voiture pour reconduire mes hôtes à la gare. À l’heure convenue, arriva, à ma porte, un landau découvert, un seize ressorts au moins, garni en satin bleu ciel, dans lequel on montait par un marchepied à triple degré qui se repliait, une fois la portière refermée. Deux chevaux blancs, maigres et décharnés, véritables rossinantes, y étaient attelés.

Mes invités reconnurent aussitôt ce carrosse, à l’allure préhistorique, pour l’avoir autrefois rencontré