Page:Massenet - Mes souvenirs, 1912.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MES SOUVENIRS
233

Comme au second acte l’enfant, sur les genoux de Grisélidis, devait donner l’illusion de s’endormir, la petite artiste trouva seule le geste utile et compréhensible de loin pour le public : elle laissa tomber un de ses bras, comme accablée de fatigue. Ô la délicieuse petite cabotine !

Albert Carré avait trouvé un oratoire de caractère archaïque et historique d’un art parfait, et, quand le rideau se leva sur le jardin de Grisélidis, ce fut un enchantement. Quel contraste entre les lis fleuris du premier plan et l’antique et sombre castel à l’horizon !

Et ce décor du prologue, tapisserie animée, une trouvaille !

Quelles joies je me promettais de pouvoir travailler au théâtre avec mon vieil ami Armand Silvestre, connu par moi d’une façon si amusante ! Depuis un an déjà, il était souffrant et il m’écrivait : « Va-t-on me laisser mourir avant de voir Grisélidis à l’Opéra-Comique ?… » Il devait, hélas ! en être ainsi, et ce fut mon cher collaborateur, Eugène Morand, qui nous aida de ses conseils de poète et d’artiste.

Alors que je travaillais à Grisélidis, un érudit tout féru de littérature du moyen âge, et qui s’intéressait aimablement à un sujet de cette époque, me confia un travail qu’il avait fait sur ce temps-là, travail bien ardu et dont je ne pouvais tirer assez parti.

Je l’avais montré à Gérôme, esprit curieux de tout, et comme nous étions réunis, Gérôme, l’auteur et moi, notre grand peintre, qui avait l’à-propos si rapide et si amusant, dit à l’auteur, qui attendait son opinion : « Ah ! comme je me suis endormi avec plaisir en vous lisant hier ! » Et l’auteur de s’incliner, complètement satisfait.