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MES SOUVENIRS
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Le jury, dont nous allions affronter le verdict, était composé d’Halévy, de Carafa, d’Ambroise Thomas, de plusieurs professeurs de l’École et du Président, directeur du Conservatoire, M. Auber, car nous n’avons que rarement dit : Auber, tout court, en parlant du maître français, le plus célèbre et le plus fécond de tous ceux qui firent alors le renom de l’opéra et de l’opéra-comique.

M. Auber avait alors soixante-cinq ans. Il était entouré de la vénération de chacun et tous l’adoraient au Conservatoire. Je revois toujours ses yeux noirs admirables, pleins d’une flamme unique et qui sont restés les mêmes jusqu’à sa mort, en mai 1871.

En mai 1871 !… On était alors en pleine insurrection, presque dans les dernières convulsions de la Commune… et M. Auber, fidèle quand même à son boulevard aimé, près le passage de l’Opéra — sa promenade favorite — rencontrant un ami, qui se désespérait aussi des jours terribles que l’on traversait, lui dit, avec une expression de lassitude indéfinissable : « Ah ! j’ai trop vécu ! » — puis il ajouta, avec un léger sourire : « Il ne faut jamais abuser de rien. »

En 1851 — époque où je connus M. Auber — notre directeur habitait déjà depuis longtemps son vieil hôtel de la rue Saint-Georges, où je me rappelle avoir été reçu, dès sept heures du matin — le travail du maître achevé ! — et où il était tout aux visites qu’il accueillait si simplement.

Puis il venait au Conservatoire dans un tilbury qu’il conduisait habituellement lui-même. Sa notoriété était universelle. En le regardant, on se rappe-