Page:Massillon - Sermons et morceaux choisis, 1848.djvu/243

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autres, mais c’est ce que l’Écriture vous défend : Ne vous conformez point a ce siècle corrompu (Rom. c. 12, v. 2), nous dit-elle : or, le siècle corrompu n’est pas le petit nombre de justes que vous n’imitez point ; c’est la multitude que vous suivez. Vous ne faites que ce que font les autres ! vous aurez donc le même sort qu’eux. Or, malheur à toi, s’écriait autrefois saint Augustin, torrent fatal des coutumes humaines ! ne suspendras-tu jamais ton cours ? entraîneras-tu jusqu’à la fin les enfants d’Adam dans l’abîme immense et terrible ? Væ tibí, flumen morís humani ! quousque volves Evæ filios in mare magnum et formidolosum (S. Aug. in Conf. l. I. c. 16. n. 23 ou 25?).

Au lieu de se dire à soi-même : Quelles sont mes espérances ? Il y a dans l’Église deux voies : l’une large, où passe presque tout le monde, et qui aboutit à la mort ; l’autre étroite, où très-peu ne gens entrent, et qui conduit à la vie. De quel côté suis-je ? mes mœurs, sont-ce les mœurs ordinaires de ceux de mon rang, de mon âge, de mon état ? suis-je avec le grand nombre ? je ne suis donc pas dans la bonne voie ; je me perds ; le grand nombre dans chaque état n’est pas le parti de ceux qui se sauvent. Loin de raisonner de la Sorte, on se dit à soi-même : Je ne suis pas de pire condition que les autres ; ceux de mon rang et de mon âge vivent ainsi, pourquoi ne vivrais-je pas comme eux ? Pourquoi, mon cher auditeur ? pour cela même : la vie commune ne saurait être une vie chrétienne ; les saints ont été dans tous les siècles des hommes singuliers ; ils ont eu leurs mœurs à part ; et ils n’ont été saints, que parce qu’ils n’ont pas ressemblé au reste des hommes.

L’usage avait prévalu au siècle d’Esdras, qu’on s’alliât, malgré la défense, avec des femmes étrangères ; l’abus était universel ; les prêtres et le peuple n’en faisaient plus de scrupule. Mais que fit ce saint restaurateur de la loi ? suivit-il l’exemple de ses frères ? Crut-il qu’une transgression commune fût devenue plus légitime ? Il en appela de l’abus à la règle ; il prit le livre de la loi entre les mains ; il l’expliqua au peuple consterné, et corrigea l’usage par la vérité.