Page:Massillon - Sermons et morceaux choisis, 1848.djvu/637

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plus sûr du succès ; un Créqui, plus grand le jour de sa défaite que dans les jours de ses triomphes ; un Luxembourg, qui semblait se jouer de la victoire ; et tant d’autres venus depuis, que nos annales mettront un jour parmi les Guesclins et les Dunois de notre siècle.

Mais, hélas ! triste souvenir de nos victoires, que nous rappelez-vous ? Monuments superbes, élevés au milieu de nos places publiques pour en immortaliser la mémoire, que rappellerez-vous à nos neveux, lorsqu’ils vous demanderont, comme autrefois les Israélites, ce que signifient vos masses pompeuses et énormes ? Quando interrogaverint vos filii vestri, dicentes : Quid sibi volunt isti lapides[1] ? Vous leur rappellerez un siècle entier d’horreur et de carnage ; l’élite de la noblesse française précipitée dans le tombeau ; tant de maisons anciennes éteintes ; tant de mères point consolées, qui pleurent encore sur leurs enfants ; nos campagnes désertes, et, au lieu des trésors qu’elles renferment dans leur sein, n’offrant plus que des ronces au petit nombre des laboureurs forcés de les négliger ; nos villes désolées ; nos peuples épuisés ; les arts à la fin sans émulation ; le commerce languissant : vous leur rappellerez nos pertes plutôt que nos conquêtes, Quando interrogaverint vos filii vestri, dicentes : Quid sibi volunt isti lapides ? Vous leur rappellerez tant de lieux saints profanés ; tant de dissolutions capables d’attirer la colère du ciel sur les plus justes entreprises ; le feu, le sang, le blasphème, l’abomination, et toutes les horreurs qu’enfante la guerre : vous leur rappellerez nos crimes plutôt que nos victoires : Quando interrogaverint vos filii vestri ; dicentes : Quid sibi volunt isti lapides ?

Ô fléau de Dieu ! ô guerre ! cesserez-vous enfin de ravager l’héritage de Jésus-Christ ? Ô glaive du Seigneur ! levé depuis longtemps sur les peuples et sur les nations, ne vous reposerez-vous pas encore ? O mucro Domini ! usquequo non quiesces ? Vos vengeances, ô mon Dieu ! ne sont-elles pas encore accomplies ? N’auriez-vous encore donné qu’une fausse paix à la terre ? L’innocence de l’auguste enfant que vous venez d’établir sur la nation, ne désarme-t-elle pas votre bras plus que nos iniquités ne l’irritent ? Regardez-le du haut du ciel, et n’exercez plus sur nous des châtiments qui n’ont servi jusqu’ici qu’à multiplier nos crimes : O

  1. Jos. c. 4, v. 6.