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H8 REVUE d’histoire LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.

trouve dans le livre d’Helvetius l’expression la plus audacieuse du matérialisme philosophique, que V Emile \ eut combattre, et il songe à en introduire la réfutation dans ce manifeste spiritualiste qu’il achève de reviser. Parla pensée, il esquisse et groupe les arguments qu’il entend opposer à son adversaire; et il les voit avec une telle netteté et précision, qu’il peut les considérer comme déjà rédigés et inscrire en marge de son exemplaire de VEsprit l’indication sui- vante : « J’ai lâché de le combattre (l’un des principes d’Helvetius)... et dans les notes que j’ai écrites au commencement de ce livre, et surtout dans la première partie de la profession de foi du Vicaire savoyard ». \S Esprit avait paru au début d’août 1758. Mais bientôt l’émotion soulevée par le livre est telle* que les pouvoirs publics interviennent : le 10 août, le privilège est rapporté par arrêt du Conseil d’état; le 22 novembre, l’archevêque publie son mandement; le 31 janvier de l’année suivante, le pape condamne l’ouvrage par lettre apostolique; le 6 février, le Parlement le supprime; et le 9 avril, la Faculté de théologie arrive avec un dernier anathème. Alors Rousseau, par scrupule de délicatesse, ne veut pas se joindre à la troupe des aboyeurs, et renonce à sa réfutation directe. Il se contente d’opposer à la théorie maîtresse d’Helvetius la doctrine spiritualiste de la Profession, et d’y utiliser quelques-unes des remarques qu’à une première lecture, il avait lui-même inscrites sur son exemplaire. C’est ce que Rousseau confirmerait lui-même par cette note des Lettres de la montagne^ HI, 122 : « \\ y a quelques années qu’à la première apparition d’un livre célèbre, je résolus d’en attaquer les principes que je croyois dangereux. J’exécutois l’entreprise quand j’appris que l’auteur étoit poursuivi. A l’instant je jetai mes feuilles au feu, jugeant qu’aucun devoir ne pouvoit autoriser la bassesse de s’unir à la foule pour accabler un homme d’honneur opprimé. Quand tout fut pacifié, j’eus l’occasion de dire mon sentiment sur le même sujet dans d’autres écrits; mais je l’ai dit sans nommer le livre ni l’auteur ».

Ainsi présentée, la thèse de M. Schinz est insoutenable. Il admet que Rousseau « a résolu d’attaquer l’ouvrage (d’Helvetius) entre le commencement d’août, date de la publication, et le 10 août, date de la condamnation- ». Comment concilie-t-il cette conjecture avec l’affirmation formelle de Rousseau, dans sa lettre à Vernes du 22 octobre 1758 : « Je n’ai point lu le livre De VEsprit S) ? M. Schinz

1. Sur celle « affaire » de VEsprit, cf. le livre cité de M. Keim, p. 319 sqq., et l’article du Baron Angot des Retours {Revxie Hebdomadaire, n° du 12 juin 1909, p. 18f>-21i) : Le bon llelvelius et fa/faire « de l’Esprit ..

2. I». 256 de son article.

3. Correspondance, X, 196.