Page:Maufrais Aventures au Matto Grosso 1951.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rine sur une caisse vide et par les autres qui frottent des bois verts avec un son aigre. Musique primitive qui retourne à ses origines et chante le drame d’une race et de son esclavage. C’est la chanson de la mer qui roule ses vagues à l’infini, des lourdes rames qui frappent l’eau, du cliquetis des chaînes sur les écoutillee, des coups sourds de cravache zébrant les dos penchés. C’est la complainte du vieil esclave fatigué à son maitre blanc ; je la saisis par bribes, elle m’atteint profondément, telle est sa portée dans ce cadre :

— Blanc, admire ces champs, ce monde de coton,

— Mais n’oublie pas, ô maitre, que tout ça n’est pas né tout seul.

— Blanc, admire ces champs, ces terres…

— Mais tu oublies le dur travail de ce nègre déjà vieux.

— Tu sais, maître blanc, d’où viennent les étoffes de deuil, les étoffes blanches pour les mariages, le drap de tes drapeaux pour les soldats et pour la guerre ?

— Le vieux nègre a travaillé

— Jour et nuit, nuit et jour…

— Tirant de la terre froide, coton encore coton

— Pour ton bébé bientôt devenir maître.

L’homme s’est tu. Les loups rouges qui hantent les forêts de Goyaz hurlent à la mort, accompagnés par la plainte ininterrompue des cigales qui chantent à perdre haleine, jusqu’à éclater, m’a dit un vieux noir.

Elles forment un fond sonore qui maintenant fait partie de nos nuits et ne trouble d’aucune manière le silence profond de la jungle.

Le brasier meurt. Lentement, sans fumée, un orage