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Page:Maufrais Aventures au Matto Grosso 1951.djvu/67

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En file indienne, avec sur la tête des charges de quarante kilos, grelottant de froid, les pieds crispés sur un fond vaseux, glissant, hérissé. de brindilles qui déchirent et coupent, le corps tendu, tâtonnant, de l’eau jusqu’au menton (une eau pleine du fourmillement d’une vie intense, grouillante, qui frôle, se joue sur nos mollets, sur nos ventres), nous allons lentement, le nez dans l’échine du prédécesseur, dans un équilibre osé…

La tension des muscles qui cherchent à mordre la terre fluide provoque des crampes lancinantes et de longs arrêts. Puis, le sol monte, presque en pente douce, nous émergeons, entassons les caisses et repartons.

Cinq, dix voyages, je ne sais pas, je ne sais plus, je suis crevé.

La nuit va tomber. Il faut activer. Mes pieds sont en sang. Pablo entretient le moteur…

— Terminé ! hurle un noir à l’adresse de Pablo après que nous ayons, dans un dernier voyage, déménagé les · armes et nos vêtements. Le moteur tourne à plein gaz, nous avançons dans l’eau pour mieux voir et encourager Pablo qui, cette fois, ne plaisante pas.

La machine fonce dans un épanouissement de gerbes d’eau sale, danse un instant, reprend son aplomb, fonce à nouveau. Le moteur hoquette, l’eau grimpe sur le siège… dix mètres, cinq, trois, deux… ça y est. Le camion rue pour se dégager d’une ornière. Dans un dernier sursaut il grimpe sur la berge ; emporté par la vitesse acquise, il perd sa direction, fonce sur un homme, le plaque sur un talus herbeux, et s’arrête à temps pour ne pas le transformer en bouillie.