Page:Maupassant, Des vers, 1908.djvu/173

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ux.

L’enfant grandit tout seul sans famille et sans joies,
Menant paître au hasard des chèvres ou des oies,
Et tout le jour debout sur le flanc du coteau,
Sous la pluie et le vent et l’injure des bouches.
Alors qu’il s’endormait roulé dans son manteau,
Il songeait à ceux-là qui dorment dans leurs couches ;
Puis, quand le clair soleil baignait les horizons,
Il mangeait son pain noir en guettant par la plaine
Ce filet de fumée au-dessus des maisons
Qui dit la soupe au feu dans la ferme lointaine.

Il vieillit. – Un effroi grandit à ses côtés.
On en parlait, le soir, dans les longues veillées,
Et d’étranges récits à son nom chuchotés
Tenaient jusqu’au matin les femmes réveillées.
À son gré, disait-on, il guidait les destins,
Sur les toits ennemis faisait choir des désastres,
Et, déchiffrant ces mots de feu qui sont les astres,
Épelait l’avenir au fond des cieux lointains.
Tout le jour il roulait sa hutte vagabonde,
Ne se mêlant jamais aux hommes et souvent,
Quand il jetait des cris inconnus dans le vent,
Des voix lui répondaient qui n’étaient point du monde.
On lui croyait encore un pouvoir dans les yeux,
Car il savait dompter les taureaux furieux.

Et puis d’autres rumeurs coururent la contrée.

Une fille, qu’un soir il avait rencontrée,
Sentit à son aspect un trouble la saisir.
Il ne lui parla pas ; mais, dans la nuit suivante,
Elle se réveilla frissonnant d’épouvante ;