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Page:Maupassant, Des vers, 1908.djvu/82

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Je la suivais, rempli d’attente et de désir.
La regarder sans fin était mon seul plaisir,
Et je restais debout dans la même posture,
Muré dans mon amour comme en une prison.
Les lignes de son corps fermaient mon horizon ;
Mon espoir se bornait aux nœuds de sa ceinture.
Je demeurais près d’elle, épiant le moment
Où quelque autre attirait la gaieté toujours prête ;
Je me penchais bien vite, elle tournait la tête,
Nos bouches se touchaient, puis fuyaient brusquement.
Parfois elle sortait en m’appelant d’un signe ;
J’allais la retrouver dans quelque champ de vigne
Ou sous quelque buisson qui nous cachait aux yeux.
Nous regardions s’aimer les bêtes accouplées,
Quatre ailes qui portaient deux papillons joyeux,
Un double insecte noir qui passait les allées.
Grave, elle ramassait ces petits amoureux
Et les baisait. Souvent des oiseaux sur nos têtes
Se becquetaient sans peur, et les couples des bêtes
Ne nous redoutaient point, car nous faisions comme eux.

Puis le cœur tout plein d’elle, à cette heure tardive
Où j’attendais, guettant les détours de la rive,
Quand elle apparaissait sous les hauts peupliers,
Le désir allumé dans sa prunelle brune,
Sa jupe balayant tous les rayons de Lune
Couchés entre chaque arbre au travers des sentiers,
Je songeais à l’amour de ces filles bibliques,
Si belles qu’en ces temps lointains on a pu voir,
Éperdus et suivant leurs formes impudiques,
Des anges qui passaient dans les ombres du soir.