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LE VENGEUR.

Il lui prit le bras qu’il serra vivement :

— M’entends-tu, à la fin ? Je prétends que tu me répondes quand je te parle.

Alors elle prononça nerveusement :

— Je crois que tu deviens fou, laisse-moi tranquille !

Il tremblait de fureur, ne sachant plus que dire, exaspéré, et il la secouait de toute sa force, répétant :

— M’entends-tu ? m’entends-tu ?

Elle fit pour se dégager un geste brusque, et du bout des doigts atteignit le nez de son mari. Il eut une rage, se croyant frappé, et d’un élan il se rua sur elle.

Il la tenait maintenant sous lui, la giflant de toute sa force et criant :

— Tiens, tiens, tiens, voilà, voilà, gueuse, catin ! catin !

Puis quand il fut essoufflé, à bout d’énergie, il se leva, et se dirigea vers la commode pour se préparer un verre d’eau sucrée à la fleur d’oranger, car il se sentait brisé à défaillir.

Et elle pleurait au fond du lit, poussant de gros sanglots, sentant tout son bonheur fini, par sa faute.

Alors, au milieu des larmes, elle balbutia :

— Écoute, Antoine, viens ici, je t’ai menti, tu vas comprendre, écoute.

Et, prête à la défense maintenant, armée de raisons et de ruses, elle souleva un peu sa tête ébouriffée dans son bonnet chaviré.

Et lui, se tournant vers elle, s’approcha, honteux d’avoir frappé, mais sentant vivre au fond de son cœur de mari une haine inépuisable contre cette femme qui avait trompé l’autre, Souris.


Le Vengeur a paru dans le Gil-Blas du mardi 6 novembre 1883, sous la signature : Maufrigneuse.