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APRÈS.

Elle insistait :

— Voyons, monsieur le curé, confessez-vous à votre tour.

Il répéta :

— Je n’étais pas né pour la vie de tout le monde. Je m’en suis aperçu à temps, heureusement, et j’ai bien souvent constaté que je ne m’étais pas trompé.

Mes parents, marchands merciers à Verdiers, et assez riches, avaient beaucoup d’ambition pour moi. On me mit en pension fort jeune. On ne sait pas ce que peut souffrir un enfant dans un collège, par le seul fait de la séparation, de l’isolement. Cette vie uniforme et sans tendresse est bonne pour les uns, détestable pour les autres. Les petits êtres ont souvent le cœur bien plus sensible qu’on ne croit, et en les enfermant ainsi trop tôt, loin de ceux qu’ils aiment, on peut développer à l’excès une sensibilité qui s’exalte, devient maladive et dangereuse.

Je ne jouais guère ; je n’avais pas de camarades, je passais mes heures à regretter la maison, je pleurais la nuit dans mon lit, je me creusais la tête pour retrouver des souvenirs de chez moi, des souvenirs insignifiants de petites choses, de petits faits. Je pensais sans cesse à tout ce que j’avais laissé là-bas. Je devenais tout doucement un exalté pour qui les plus légères contrariétés étaient d’affreux chagrins.

Avec cela je demeurais taciturne, renfermé, sans expansion, sans confidents. Ce travail d’excitation mentale se faisait obscurément et sûrement. Les nerfs des enfants sont vite agités ; on devrait veiller à ce qu’ils vivent dans une paix profonde, jusqu’à leur développement presque complet. Mais qui donc songe que, pour certains collégiens, un pensum injuste peut être une aussi grosse douleur que le sera plus tard la mort d’un ami ; qui donc se rend compte exactement